Action n°56 : ANTITUSSIFS CHEZ LES ENFANTS (02/2001)

Utilisation inadéquate et notice scientifique inadaptée.

QUAND BEBE TOUSSE : DES RECOMMANDATIONS A LA PRATIQUE (Par Jeanine Gailly, médecin de famille)

Les antitussifs chez l’enfant sont non seulement peu utiles mais également potentiellement dangereux.
« Il n’est pas clairement établi que l’une ou l’autre spécialité soit plus efficace qu’un placebo chez l’enfant. » Folia Pharmacotherapeutica 1999 ;26(9):70-1 d’après : Cough medications in children. Drug and Therapeutics Bulletin 1999 ;37:19-21.

Les Folia Pharmacotherapeutica 1999 ;26(9):70-1 et le répertoire commenté des médicaments 2000 donnent les directives suivantes :

  • Au-dessous de 1 an, l’emploi d’antitussifs est contre-indiqué.
  • Entre 1 et 2 ans, l’emploi d’antitussifs doit être exceptionnel et ne peut se faire qu’après avis médical. Les dérivés phénothiaziniques, le dextrométorphane et la noscapine sont formellement contre-indiqués avant 2 ans.
  • Entre 2 et 6 ans, l’emploi d’antitussifs doit rester limité.

Lorsqu’un antitussif s’avère nécessaire chez un enfant, la codéine est le médicament de premier choix. D’après le Traité de Pédiatrie « Nelson », la dose qui peut être recommandée est de 0,15 à 0,25 mg/kg et par prise. (sans dépasser 1 à 1,5 mg/jour/Kg)

La sécurité des dérivés phénothiaziniques, du dextrométorphane et de la noscapine n’est pas établie sous l’âge de 2 ans.
Selon Martindale The Complete Drug Reference (32° édition 1999), la prométhazine est suspectée dans la mort subite du nourrisson jusqu’à l’âge de 2 ans. Elle provoquerait des apnées d’origine centrale, qui pourraient être associées à toutes les substances sédatives, spécialement en cas de surdosage. Attention donc aux antihistaminiques sédatifs : alimenazine (Théralène®), chlorhydrate de diphenhydramine (Benylin®), promethazine (Phenergan®).
Le dextrométorphane est un antitussif d’action centrale qui peut donner des vertiges et des troubles digestifs. Mais aussi de l’excitation, de la confusion et une dépression respiratoire en cas de surdosage. De plus, il est métabolisé par le cytochrome P 450 (et donc expose à des interactions médicamenteuses potentiellement dangereuses).
La Noscapine est un antitussif d’action centrale pouvant provoquer des réactions d’hypersensibilité.
Pour les autres molécules, telle la codéine, le danger est surtout lié au risque de surdosage très fréquent à cet âge.

Pour qu’une recommandation puisse être intégrée, il faut qu’il y ait concordance entre les différents messages et cohérence entre tous les intervenants.
Quand nous interrogeons les parents, pour savoir ce qu’ils donnent à leur enfant de moins de 2 ans (enrhumé ou qui tousse), souvent un calmant de la toux (sirop ou suppositoire) est utilisé, malgré notre refus de prescription !

Quelles sont les sources d’information pour les parents ? Sont-elles cohérentes ?

  • Le médecin : Ce sirop (ou suppositoire )a parfois été prescrit par un médecin.
    Le message qu’il ne faut pas prescrire de sirop (ou suppositoire) calmant de la toux sous l’âge d’un an semble être passé chez la plupart des médecins généralistes.

Mais la tranche d’âge entre 1 et 2 ans reçoit encore souvent une prescription d’antitussif, parfois par ignorance des recommandations par les médecins, parfois par difficulté de résister à la pression de la famille qui veut un résultat rapide sur la toux, surtout dans les milieux sociaux plus défavorisés (toux souvent entretenue par le tabagisme passif).

  • Le pharmacien : Souvent, ce sirop (ou suppositoire) a été conseillé par un pharmacien. (La plupart des antitussifs étant en vente libre)
    Le pharmacien est-il informé des recommandations en matière d’antitussifs chez les enfants en-dessous de 2 ans ?

Le pharmacien vérifie-t-il systématiquement l’âge de la personne à qui est destiné le sirop contre la toux avant de le distribuer ?

Si le sirop est donné pour une autre tranche d’âge, rappelle-t-il le conseil : « Il ne faut pas donner ce sirop (ou ce suppositoire) à un enfant de moins de 2 ans » ? (pour que les parents ne donnent pas au cadet le traitement proposé au grand frère ou au grand-père).

Les « préparations-maisons » de sirops pour nourrissons sont-elles adaptées aux recommandations ?

  • Les notices-boîtes des médicaments :
    Les parents peuvent vérifier les notices de ce qui est proposé comme traitement à leur enfant. MAIS :

Certaines notices sont adaptées aux recommandations :

  • Rhinathiol antitussif junior® donne une contre-indication pour enfants en dessous de 30 mois.
  • Acatar®, Cotrane®, Dexir enfant®, Gloceda®, Noscaflex pediatric®, Quintex pediatric®, Sinecod Junior®, Tussipect®, Vicks Vaposyrup enfants antitussif® : précisent dans leurs contre-indications : Enfants en dessous de 2 ans.
  • Balsoclase® a modifié sa notice récemment (voir ci-dessous : présentation de la boite). La notice dans le compendium de 2000 donne encore une posologie à partir de 6 mois pour le sirop.

D’autres notices sont déjà plus discutables :

  • Actifed sirop® ne donne pas de posologie en dessous de 2 ans mais ne précise pas qu’il s’agit d’une contre-indication. Il faut également rappeler que ce type de sirop, contenant de la phénylpropanolamine ou pseudo-éphédrine, est formellement contre-indiqué en France pour les enfants de moins de 12 ans, vu sa toxicité neurologique. (voir Lettre du GRAS N° 25)
  • Bronchalène enfants® donne une posologie à partir de 3 ans mais ne précise pas qu’il s’agit d’une contre-indication chez l’enfant plus jeune.

Certaines notices ne sont franchement pas en accord avec la recommandation :

  • Catabex® (dropipizine), Novotossil® et Sekin®, (clopérastine chlorhydrate), Tuclase® (pentoxyvérine chlorhydrate) : donnent une posologie pour l’enfant à partir de 6 mois, en émettant une recommandation limitant la prise à des cas exceptionnels (quels en sont les critères pour le parent ?).
  • Eucalyptine Pholcodine Lebrun® (camphre, eucalyptol, gaïacol et pholcodine) a une forme de suppos pour nourrissons sans aucune précision de limite par rapport à l’âge de l’enfant !
  • Folcodex® (aconit, tolu, belladone, ephédrine, Ipeca, pholcodine et sulfogaïacol),
  • et Toplexil® (benzoate de sodium, guaïafénésine, oxomémasine et paracétamol) donnent un posologie de sirop pour nourrissons sans limite d’âge et sans aucune contre-indication !
  • Silomat® (clobutinol chlorhydrate) donne une posologie à partir de 6 mois et une contre-indication pour les enfants de moins de 6 mois. Aucune remarque pour limiter la prise chez les enfants entre 6 mois et 2 ans.

De plus, les Folia Pharmacotherapeutica 1999 ;26(9):70-1 précisent : « les préparations contenant plusieurs substances en association fixe n’ont certainement aucune place dans cette indication. » L’utilisation de camphre est contre indiquée chez les enfants en bas âge

Les publicités ou les présentations des boites de médicaments :
Pour faciliter l’information des parents, il serait important que les âges pour lesquels le produit est conseillé (ou déconseillé) apparaisse clairement sur les boites des différents conditionnements .

Balsoclase® a récemment modifié sa notice en y précisant que les suppositoires pour bébé sont réservés aux enfants de 2 à 3 ans. Mais la firme lance une forme adaptée à la pédiatrie : « suppositoires pour bébés » avec sur la publicité une boite montrant l’image d’un bébé joufflu suçant une tétine. Le public visé est-il vraiment celui des plus de 2 ans ? Ne faudrait-il pas préciser clairement sur l’emballage : « suppositoires pour bébés de plus de 2 ans » ?

De même, la publicité du nouveau Sinecod Junior® nous montre une cuillère jaune en plastic dont le manche est décoré par un petit nounours. N’est-ce pas à nouveau induire un public cible de bébés ?. La présentation de la boite (sur la publicité) ne précise pas l’âge auquel le sirop est destiné.

Les notices consultées sont celles du Compendium 2000 de l’AGIM (Association Générale de l’Industrie du Médicament).

Seule la tranche d’âge entre 0 et 2 ans a été prise en compte. Nous avons omis certaines marques de sirop pour enfants soit parce qu’elles n’avaient pas de notice répertoriée dans le Compendium (ex : Bronchalène sans pholcodine®, Pectoral Lima enfants®, pectorhinyl junior®), soit par omission involontaire. Nous n’avons pas repris les « préparations-maison » (formules ??) des pharmaciens ainsi que les sirops (ou suppositoires) prévus pour des enfants à partir de 3 ans, ni les mucolytiques ou fluidifiants.

SUITES (LLG n°48, décembre 2005)

Le Centre Belge de Pharmacovigilance a récemment été informé de la survenue d’effets indésirables chez un petit enfant traité par des suppositoires bébé d’Eucalyptine Pholcodine ® (contenant de l’eucalyptol, de la pholcodine, du gaïacol et du camphre) cf. www.cbip.be Folia Pharmacothérapeutica août 2005 32 : 72. Le GRAS a déjà attiré l’attention du ministre sur ce problème.

SUITES (LLG n°57, mars 2008)

La Food and Drug Administration américaine déconseille l’emploi d’un grand nombre de médicaments contre la toux et le refroidissement banal chez les enfants de moins de 2 ans. Il s’agit de préparations à base d’antitussifs, antihistaminiques, vasoconstricteurs et expectorants (en association ou non), qui sont pour la plupart des médicaments délivrés sans prescription (OTC).

En ce qui concerne l’emploi de telles préparations chez ces très jeunes enfants, la FDA attire l’attention sur le fait qu’il n’existe aucune preuve d’efficacité, qu’aucune directive fondée ne peut être donnée quant à la posologie et que, bien que rarement, des effets indésirables graves (p. ex. tachycardie, convulsions, troubles de la conscience) ont été rapportés, parfois même avec une issue fatale (souvent suite à un surdosage involontaire).

Pour plus de détails, voir www.fda.gov/cder/drug/advisory/cough_cold_2008.htm.

Dans le Répertoire pharmaceutique belge et les Folia, il est également mis en garde en ce qui concerne l’emploi de ces médicaments chez des jeunes enfants [voir Folia de décembre 2002, avril 2004 et août 2005]. La FDA publiera également prochainement de nouvelles recommandations sur l’emploi de ces médicaments chez des enfants plus âgés (de 2 à 11 ans). En attendant, la FDA insiste sur le fait que les parents doivent bien comprendre que de tels médicaments ne traitent que les symptômes, et qu’ils n’influencent pas l’évolution de l’affection. De plus, il est important de vérifier la composition de la préparation, afin d’éviter que, lors de l’administration de deux médicaments ou plus, un même principe actif soit administré plusieurs fois. Il convient aussi de toujours utiliser la mesure qui se trouve dans le conditionnement (petite cuillère, pipette …).
Communiqué des Folia du 25.01.08

SUITES (LLG n°67, septembre 2010)

Un poster du Centre Anti Poisons belge des Drs Elisabeth GOOSSENS et Martine MOSTIN, exposé aux journées Mieux Prescrire à Bruxelles ces 28 et 29 mai 2010, attirait l’attention sur le risque d’intoxication à la pholcodine utilisée chez les enfants à dose thérapeutique pendant
plusieurs jours (8 à 13 j dans les cas rencontrés). Cet antitussif narcotique à longue demi-vie ( 50 h.) peut s’accumuler dans l’organisme. On en retrouve encore dans les urines 4 semaines après prise d’une dose unique par des volontaires adultes sains. Il est présent en Belgique sous des formes à usage pédiatrique : Cotrane Pholcodine® solution, disponible sur ordonnance, Broncho-Pectoralis Pholcodine solution et Eucalyptine Pholcodine Le Brun disponibles SANS ordonnance (cf. www.cbip.be, Répertoire Commenté des
Médicaments).

Eucalyptine Pholcodine Le Brun Enfant est un suppositoire qui
contient du camphre 100mg + eucalyptol 80mg + gaïacol 30mg + phénol 6mg + pholcodine 5mg. Un autre antitussif, non narcotique, la pentoxyvérine (Balsoclase Antitussivum®) peut occasionner des effets secondaires graves chez les enfants : dépression respiratoire avec apnées en cas de surdosage. Il est disponible sans ordonnance sous 4 formes pédiatriques différentes. Les enfants les plus vulnérables sont les nourrissons auxquels les parents administrent les suppositoires pour enfants, cette dénomination n’étant pas très claire
pour les parents.