Dans la précédente Lettre du GRAS (LLG n°48), nous vous avons présenté une analyse d’une étude clinique arrêtée prématurément [1]. Nous vous promettions de revenir sur ce sujet. La publication récente d’une synthèse méthodique de l’ensemble des études arrêtées prématurément réalisée par Montori et coll. [2] est l’occasion de satisfaire pour nous à cette promesse.
Les RCTs peuvent être arrêtées prématurément pour différentes raisons : soit parce que les évaluations intermédiaires montrent un effet délétère trop important du traitement actif, soit parce que les résultats paraissent plus favorables que prévu, apportant au groupe traité un avantage clinique tel qu’il serait irresponsable de n’en pas faire profiter le groupe de sujets non traités par cette molécule, soit encore pour des raisons purement commerciales.
Les auteurs et surtout les sponsors de RCTs arrêtées prématurément pour résultats intermédiaires favorables focalisent l’attention de la presse (médicale) et des médecins sur ces résultats : « avancée thérapeutique majeure », « nécessité éthique d’interrompre cette étude de non infériorité », « intérêt vital à communiquer immédiatement au monde entier » [3].
Montori et coll identifient 143 RCTs stoppées prématurément en raison de résultats favorables. La proportion de ces RCTs sur l’ensemble des RCTs publiées dans la presse médicale à impact le plus important (les grandes revues internationalement connues) était de 0,5% en 1990-1994 pour atteindre 1,2% en 2000-2004 (p<0,001 pour la progression). En moyenne, ces études n’avaient recruté que 63% (ET 25%) de la population prévue et étaient arrêtées après 1 analyse intermédiaire, avec une moyenne de 66 événements correspondants au critère de jugement primaire. Nonante-quatre pourcent de ces études arrêtées prématurément ne mentionnaient pas l’ensemble des conditions requises pour justifier un arrêt prématuré : échantillon prévu au départ, analyse intérimaire après laquelle le traitement était arrêté, critère d’arrêt prédéfini motivant la décision d’interruption, analyses intérimaires adéquates prévues initialement pour le suivi et l’arrêt. Les études comportant le moins d’événements correspondants aux critères d’évaluation montrent le plus grand effet du traitement (odds ratio 28 (IC à 95% 11-73). Seules 117 de ces études mentionnent leurs sources de financement ; 64 parmi elles sont financées par l’industrie.
Dans un éditorial publié dans le même numéro du JAMA, Pocock reprécise les règles communément admises pour justifier un arrêt prématuré d’une étude [4]. Il rappelle les recommandations faites aux différentes revues par CONSORT de ne pas publier les études arrêtées prématurément si elles ne remplissent (et ne fournissent) pas les conditions requises. La présence d’un Data Monitoring Committee (DMC) ou Data and Safety Monitoring Bord (DSMB) qui est chargé de d’examiner les données intermédiaires, lors de termes préalablement fixés, avec les tests statistiques appropriés et mandaté pour demander l’arrêt prématuré de l’étude en fonction de critères prédéfinis. Une forte minorité des 143 RCTs arrêtées ne possédait pas de DMC ou de DSMB. Une importante minorité ne mentionnait pas, dans le protocole, le nombre d’analyses intermédiaires prévues ni les conditions posées pour un arrêt prématuré. Seules 6% de ces études remplissaient toutes les conditions recommandées.
Pour atteindre une certitude statistique suffisante d’un bénéfice acquis lors d’une analyse intermédiaire, il faut se référer à une valeur p <0,001. Pour les 66 événements mentionnés, en moyenne, dans les études arrêtées prématurément, ceci signifie dans un rapport 46/20 une réduction de 57%, ce qui est très rarement le cas. Pocock reprend des analyses de l’étude CHARM [5]. La quatrième analyse intermédiaire, à un an de suivi moyen, montrait une réduction de risque de 24% avec un p<0,001 (260/339 décès). Au terme du délai initialement prévu (3,1 an de moyenne) la réduction de risque était de 9% (886/945 décès ; p=0,055). Un arrêt prématuré de l’étude (avec satisfaction aux critères recommandés !) aurait induit les praticiens en erreur.
Une décision d’arrêt prématuré doit faire une balance entre le risque de priver des patients (dont les patients du groupe contrôle dans l’étude) d’un (nouveau) traitement efficace et la nécessité de fournir à la société des preuves suffisamment solides et non uniquement liées au hasard. Il semble entre autres, non justifié d’interrompre prématurément un essai concernant un traitement chronique parce que des résultats précoces montrent un bénéfice. Il faut, bien sûr, également évaluer la totalité des preuves disponibles, dans l’étude en cours comme dans celles déjà publiées.
Les auteurs de la synthèse méthodique concluent que les RCTs arrêtées prématurément pour bénéfice montré omettent fréquemment de fournir l’information pertinente concernant cet arrêt d’étude, montrent une efficacité vraisemblablement peu importante, particulièrement si le nombre d’événements est faible. Ils suggèrent aux lecteurs de telles études de les considérer avec scepticisme. Nous nous associons à cette recommandation.
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Notes
[1] Dormandy J, Charbonnel B, Eckland D et al. Secondary prevention of macrovascular events in patients with type 2 diabetes in the PROactive Study (PROspective pioglitAzone Clinical Trial In macroVascular Events) : a randomised controlled trial. Lancet 2005 ;366:1279-89.
[2] Montori M, Devereaux P, Adhikari N et al. Randomized trials stopped early for benefit. A systematic review. JAMA 2005 ;294:2203-9.
[3] Pocock S. When (Not) to stop a clinical trial for benefit. JAMA 2005 ;294:2228-30.
[4] Pocock S. When (Not) to stop a clinical trial for benefit. JAMA 2005 ;294:2228-30.
[5] Pocock S, Wang D, Wilhelmsen L et al. The data monitoring experience in the Candesartan in Heart failure Assessment of Reduction in Mortality and morbidity (CHARM) program. Am Heart J 2005 ;149:939-43.