Action n°142 (7/2016) : Pour un cadre légal protégeant les lanceurs d’alerte en santé (et dans les autres domaines) – Appel aux politiciens belges et européens

Le Conseil de l’Europe a défini en ces termes le lanceur d’alerte : « toute personne qui signale ou révèle, de bonne foi, une information relative à un crime, un délit, une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général, dont elle a la connaissance dans le contexte d’une relation de travail, rémunérée ou non, présente ou passée. »

Julian Assange (le fondateur de Wikileaks), Edward Snowden (ex-NSA—les renseignements américains), Antoine Deltour et Raphaël Halet (Luxleaks), la taupe du cabinet Fonseca (Panama papers), Stéphanie Gibaud (Banque UBS), Hervé Falciani (HSBC) et, plus spécialement dans le domaine de la santé, Henri Pézera (amiante), le Dr Irène Frachon (Mediator), certains rédacteurs en chef de revues médicales,… il y a urgence à protéger ceux qui prennent des risques pour notre démocratie ! En révélant les failles de nos États, de nos économies ou de nos systèmes sanitaires, les lanceurs d’alerte permettent non seulement de renforcer la démocratie mais aussi de sauver des vies. Alors qu’ils agissent dans notre intérêt à tous, ils sont encore trop souvent la cible de représailles.

Si la France discute actuellement de mesures légales à ce sujet, aujourd’hui ni la Belgique ni l’Union européenne ne leur garantit une protection suffisante : pas de statut global, pas de protection ni de réparation suffisante ni de sanctions pénales contre les auteurs
de représailles, et encore moins d’agence dédiée pour recueillir et traiter les nombreux signalements. Pas étonnant que 39% des salariés gardent le silence par peur des représailles ! [1]

Plus inquiétant pour la transparence nécessaire au bon fonctionnement de nos démo-craties, le Parlement européen a adopté en avril 2016 une directive relative à la « pro-tection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites ». Cette directive devra être prochainement transposée dans les législations des Etats membres, une occasion pour décider parallèlement d’un statut juridique de protection pour les lanceurs d’alerte.

Le 20 mars 2015, dans leur lettre conjointe aux membres de la Commission des Affaires juridiques (JURI) du Parlement européen, Corporate Europe Observatory (CEO), le Collectif Europe et Médicament (Medicines in Europe Forum, MiEF) et l’International Society of Drug Bulletins (ISDB) avaient dénoncé le fait que la proposition de directive restait trop vague et que l’approche répressive qu’elle proposait menaçait les libertés civiles.

Parmi leurs préoccupations principales :

  • Une définition des “secrets d’affaires” bien trop large, incluant des données réglementaires et scientifiques pourtant d’intérêt public. 
  • La classification de documents qui relèvent actuellement du domaine public dans le domaine du “secrets d’affaires”. 
  • Les limites à la liberté d’expression des journalistes et des lanceurs d’alerte.

Pour Pascal Durand, eurodéputé français du groupe des Verts, cette directive sur le secret des affaires inverse la charge de la preuve : “Cette directive part du principe que tout ce que l’entreprise décide de garder secret l’est de facto et que n’est public que ce qu’elle décide de rendre public. Et on oblige les lanceurs d’alerte à prouver leur intention
de bonne foi, le fait qu’il n’y a pas d’autre moyen, etc. C’est donc une inversion terrible de la charge de la preuve. Ça ne devrait pas fonctionner comme ça. Ne devrait être protégé que ce que l’entreprise entend mettre à l’écart de ses concurrents de manière à ne pas se voir piller ses propres secrets de fabrique, ça c’est normal.

Par ailleurs, on est un peu échaudés par le fait que beaucoup de groupes, la Commission, le président Juncker, en France le président Hollande, … nous expliquent à quel point les lanceurs d’alerte sont importants pour la démocratie et la liberté de l’information, mais
ne font rien.
 » (RTBF.be/info – 03 mai 2016)

Plus d’infos sur : http://bruxelles.blogs.liberation.fr

L’angle mort des législations de l’alerte reste leur articulation avec les secrets pénalement protégés, en premier lieu le secret professionnel (dont le médical), mais aussi le secret défense ou le secret des affaires. Aucune législation de l’alerte ne peut être effective si ce secret n’est pas levé et si ne sont pas définies les conditions sous lesquelles les différents secrets peuvent l’être, et les éventuelles exceptions demeurant passibles de sanctions pénales. Difficile mais essentielle conciliation pour la préservation de notre démocratie !

Dans plusieurs pays dont la France et la Belgique, des dispositions légales existent pour la protection de certains types de lanceurs d’alerte (dans les domaines de l’informatique, de l’environnement ou dans la fonction publique p.ex.). Chaque fois qu’il y a un scandale, on fait une loi mais ce dispositif reste émietté, il n’existe pas un statut global de protection et les mesures déjà entérinées sont loin d’être appliquées…

Pratique initiée aux Etats-Unis dans les années 1970, le whistleblowing ou le fait de lancer une alerte signifie littéralement “tirer un coup de sifflet” dans une compétition.

Dans les années 80 et 90, la Grande-Bretagne a connu une série de catastrophes sanitaires et de scandales financiers qui l’ont poussée à agir : naufrage d’un ferry au large de Zeebrugge en 1987 causant 193 morts, explosion de la plateforme pétrolière Piper Alpha en Mer du Nord en 1988 faisant 160 décès, faillite du groupe Maxwell en 1991 révélant la fraude de £440 millions sur des pensions de retraite.

Les rapports publics d’enquête sont parvenus à la conclusion que ces catastrophes auraient pu être évitées si les salariés des entreprises concernées avaient révélé les dysfonctionnements internes à leur entreprise. C’est dans ces circonstances que, à la quasi-unanimité et en raison de l’intérêt public, le Parlement britannique a adopté le 29 juin 1998 The Public Interest Disclosure Act 1998 (The PIDA). L’objectif de cette législation est double : d’une part, accorder une large protection aux salariés lanceurs d’alerte, d’autre part, encourager les entreprises britanniques à adopter des procédures internes afin de favoriser les lancements d’alertes.

Aux États-Unis, les lanceurs d’alerte sont rémunérés. L’employé qui dénonce tire un bénéfice financier correspondant à un pourcentage (jusqu’à 30%) de la somme récu-pérée par l’administration, ce qui va à l’encontre du principe de gratuité promu au niveau européen.

Transparency International Belgium (TI-B) s’emploie à mettre en place des points de contacts accessibles pour les lanceurs d’alerte et cherche à établir une protection adéquate de ceux-ci contre les représailles. Dans ce contexte, TI-B a mené une recherche sur les dispositifs d’alerte professionnelle en vigueur en Belgique, à la fois dans les secteurs public et privé. Vous retrouverez l’évaluation de ces mécanismes, complétée par des recommandations, dans un rapport intitulé : Providing an alternative to silence : ’towards greater protection and support for whistleblowers in Belgium.

Faut-il un statut spécifique ou, à tout le moins, un mécanisme de protection pour les lanceurs d’alerte ? La réponse est “oui” pour l’opposition Ecolo qui s’appuie sur une des recommandations de la commission spéciale Dieselgate. Dans ce texte “voté à une très large majorité”, rappelle le député Ecolo Jean-Marc Nollet, se trouve une demande au gouvernement de mettre une proposition sur la table d’ici la fin de l’année. L’opposition PS, CDH et DéFI est favorable à cette idée.

« Où en est-on ? Le cabinet du Premier ministre Charles Michel n’a pas pu répondre à nos demandes d’information, ce qui indique sans doute que le dossier qui n’est pas (encore) pris à bras-le-corps. Pour cause, le consensus politique dépeint par les Verts semble bien loin aujourd’hui, étant entendu que le gouvernement n’est pas dans l’obligation de suivre les recommandations de la commission. Un petit coup de sonde au MR le confirme. » (Mathieu Colleyn dans La Libre Belgique du 27.04.2016)

Le 17 juillet 2016, la Chambre belge des Représentants a approuvé une proposition de loi adaptée (2802/003) pour la mise en place d’un dispositif d’alerte professionnelle pour les services publics fédéraux, intitulé : ’Proposition de loi relative à la dénonciation d’une atteinte suspectée à l’intégrité dans une autorité administrative fédérale par un membre de son personnel’.

A quand l’extension de ce statut au secteur privé en Belgique ?

Quelques références d’où sont tirées les grandes lignes de ce dossier :

SUITES : LLG n°100, november 2017

Le Parlement européen se prononce en faveur d’une protection des lanceurs d’alerte à l’échelle européenne
Alors que les lanceurs d’alerte de Lux-Leaks ont été condamnés à de la prison avec sursis et à des amendes, que la journaliste Daphne Caruana Galizia est assassinée à Malte, le Parlement européen a adopté, le 24 octobre 2017, une résolution non législative pour que des règles permettant de protéger les lanceurs d’alerte soient mises en place. En effet, en dépit de résolutions préalables dont celle du 14 février 2017 sur le rôle des lanceurs d’alerte dans la protection des intérêts financiers de l’Union européenne, la Commission européenne n’a pas fait de proposition législative en ce sens. Or, les députés estiment que la protection des lanceurs d’alerte dans l’UE est fragmentée et souvent inadaptée ; ils appellent donc la Commission à proposer des règles d’ici la fin de cette année pour assurer une protection à l’échelle de l’Union européenne.

Les députés plaident pour que tous les pays de l’UE introduisent :

  • des mécanismes de signalement pour faciliter le lancement d’alertes en interne et pour permettre aux lanceurs d’alerte de faire des signalements aux ONG et à la presse, y compris en incluant la possibilité de le faire de façon anonyme ;
  • une protection contre les représailles, notamment des sanctions à l’encontre de ceux qui tentent d’empêcher les lanceurs d’alerte de s’exprimer et des mesures pour décourager les actions de représailles ;
  • des mesures de soutien, telles qu’une aide financière et juridique, un soutien psychologique et une compensation pour les dommages subis par les lanceurs d’alerte en cas de procédures civiles ;
  • des organes nationaux indépendants en charge des signalements, de vérifier leur crédibilité et de guider les lanceurs d’alerte, ainsi qu’une autorité au niveau de l’UE pour faciliter la coordination dans les cas transfrontaliers.
    (26 octobre 2017 – Légipresse N°354)

Notes

[1https://www.powerfoule.org/campaigns/panamapapers/lanceurs-dalerte/prot%C3%A9geons-nos-lanceurs-dalert

SUITES (LLG 119) –

MEDECINE : DES LANCEURS D’ALERTE MENACES :

Une campagne internationale a pour objectif de protester contre les attaques dont sont victimes les lanceurs d’alerte de la part des Pr Didier Raoult et Eric Chabrière.

Ces derniers ignorent les demandes d’informations sur leurs articles (environ 240 articles concernés). Un article du Guardian, très documenté, et un article du Monde alertent, relayés par d’autres médias.

Une lettre internationale a déjà recueilli plus de 500 signatures authentifiées (ORCID ou autre). Cette lettre sera publiée dans une revue prestigieuse. Vous pouvez aussi signer la pétition de Citizen4Science qui a bientôt 2000 signataires. Cette pétition appelle nos institutions à s’engager….

Elisabeth Bik et Boris Barbour (PubPeer) sont en première ligne.

E Bik était invitée ce mardi 25 mai 2021 pour une conférence organisée par IPBS-Toulouse sur le thème The dark side of science.

Cfr aussi :

Un billet plus détaillé de Herve Maisonneuve

Hydroxychloroquine et Covid-19 : résumé d’un an de controverse
Hervé Seitz  IGH – Institut de génétique humaine

« Raoult. Une folie française » : les extraits exclusifs du livre-enquête d’Ariane Chemin et Marie-France Etchegoin


NOTES DU COMITE DE LECTURE DE LLG:

Sur les lanceurs d’alerte attaqués par Raoult et Chabrière : plusieurs auteurs d’études ou de méta-analyses remettant en cause l’efficacité de l’hydroxychloroquine ont été dénigrés, traités d’incompétents et de corrompus dans les capsules vidéo publiées sur le site de l’IHU Méditerranée (Marseille). Cela a généré des insultes, menaces de mort avec publication de leur adresse privée sur les réseaux sociaux. Idem au Brésil. Quant au niveau des arguments des 2 militants de l’HCQ, vous aurez un aperçu sur Le Pr Éric Chabrière détruit la nouvelle étude contre la chloroquine C’est totalement ridicule! (Ecouter à 2’15”)  et sur  Riri, Fifi et Loulou font de la science  (Ecouter à 1’16”)