Au Ministère de la Santé et à l’INAMI, des commissions d’experts décident de l’enregistrement et du remboursement des médicaments. Certains experts, ayant des liens avec l’industrie pharmaceutique, se retrouvent juges et parties au sein de ces commissions. Le GRAS réclame plus de transparence dans ce domaine et que les experts concernés ne puissent voter sur les dossiers où ils sont susceptibles de présenter des conflits d’intérêts. Le GRAS a écrit à Monsieur Johan De Cock, administrateur général de l’INAMI, pour connaître les pratiques en cours au sein de la Commission du Remboursement du Médicament et obtenir la publication des conflits d’intérêts des experts de la dite commission telle que prévue par la loi. Une démarche identique est en cours vis-à-vis du Ministre Rudy Demotte en ce qui concerne la Commission du Médicament.
SUITES : Les conflits d’intérêts LLG 56, décembre 2007
« La déclaration des conflits d’intérêt implique pour nous une révolution culturelle. Il faudra bien trouver la manière d’énoncer ce qui devient incontournable ». [1] – Par le Dr Michel Jehaes
Que faire ?
Dans le rapport 2004-2005 du KCE *(Kennis Centrum, Centre d’Expertise), on peut lire :
« Les conflits d’intérêts sont inévitables dans les différents secteurs de l’activité économique, et les soins de santé n’y font pas exception. Cela suscite d’ailleurs de plus en plus d’attention, notamment dans la presse médicale internationale.
On définit un conflit d’intérêt comme “des circonstances où l’appréciation professionnelle d’un intérêt (tel que le bien-être d’un patient ou la qualité d’une recherche) pourrait être exagérément influencée par un autre intérêt (tel que des avantages financiers)”.
De plus en plus d’études montrent que des incitants financiers peuvent avoir un impact sur l’offre de soins, sur les admissions dans les hôpitaux, sur la prescription de médicaments,… En recherche biomédicale, la source de financement d’un travail peut influencer le choix de la méthodologie, la publication (ou non) des résultats et la formulation des conclusions. Depuis 2005, l’enregistrement préalable des études cliniques est d’ailleurs devenu obligatoire, si les auteurs souhaitent que les résultats soient publiés dans une des grandes revues médicales » [2].
Le texte décrit ensuite la position du KCE vis-à-vis des collaborateurs du KCE (internes et externes) et se termine comme suit :
« En outre, comme le choix des experts se fait souvent sur base de leurs publications scientifiques, il est possible de retrouver la liste de leurs conflits d’intérêts dans ces publications. Cette pratique est communément admise dans la plupart des bons journaux médicaux ; de telles déclarations sont avant tout l’expression de l’intégrité et de l’honnêteté des intéressés.
Certains considèrent cette ligne de conduite comme une indiscrétion. Mais les temps changent : transparence et responsabilité sont devenus les nouveaux mots clés. Ils répondent aux attentes de la société, surtout quand il s’agit, comme c’est le cas dans les soins de santé, de faire un usage efficient des deniers publics » [3].
Par ailleurs, dans Le Moniteur, on trouve ce texte publié le 18 mai 2006 et qui concerne la commission de remboursement des médicaments : « … il convient de laisser transparaître à tout moment tous les intérêts et conflits d’intérêts possibles de telle sorte que chacun comprenne clairement qu’il ne s’agit pas de confusion d’intérêts » et plus loin « Les membres et les autres personnes participant aux travaux de la Commission sont invités à informer avant le début de chaque réunion de la Commission par écrit le secrétariat de la Commission de tous les intérêts et conflits d’intérêts éventuels par rapport aux dossiers à l’ordre du jour de la réunion » et encore « Les intérêts directs suivants sont incompatibles avec un mandat ou une tâche au sein de la Commission ou d’un groupe de travail : entre autre l’acquisition à titre personnel de revenus liés à une désignation au sein d’une firme pharmaceutique ou d’une firme pharmaceutique de support, à un poste fixe de consultant pour une firme pharmaceutique ou une firme pharmaceutique de support, ou à une chaire sponsorisée par une firme pharmaceutique » [4].
*Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) est un organisme d’intérêt public (parastatal) créé au niveau fédéral avec pour mission de produire des rapports d’étude aidant les responsables à prendre les décisions qui conduisent à l’allocation la plus efficace des moyens disponibles dans la dispensation des soins de façon à garantir la plus grande accessibilité à tous les usagers et à préserver le plus haut niveau de santé.
Et dans d’autres pays ?
« En Irlande, une pétition a réclamé la création d’une instance de pharmacovigilance à financement 100% public, chargée de la protection de la population, en contrepoids à l’Agence irlandaise du médicament, actuellement financée à 100% par les firmes pharmaceutiques » [5].
Au niveau du Réseau Cochrane, il est précisé au sujet des conflits d’intérêts : « Les synthèse Cochrane devraient être exemptes de tout biais ou d’altération de leur image introduit par un organisme financeur intéressé matériellement aux conclusions de ces synthèses » [6].
« Depuis 2001, le Center for Science in the Public Interest (CSPI), une association étatsunienne de défense des consommateurs tient à jour une base de données, disponible sur son site internet, contenant les divers liens financiers de nombreux scientifiques, et de diverses sociétés savantes, organismes et centres universitaires américains avec des industries du domaine de la santé ou de l’alimentation [7].
La Revue Prescrire [8], indépendante de l’industrie pharmaceutique et de l’Etat, cite une enquête sur les inconduites dans la recherche biomédicale aux Etats-Unis d’Amérique : « …son caractère très compétitif exerce des pressions telles sur les chercheurs, que ceux-ci sont littéralement poussés à la faute : les inconduites leur permettent d’obtenir des moyens nécessaires à la poursuite de leur carrière ».
Et aussi : « En pratique, que le financement d’une recherche soit privé ou public, l’esprit critique du lecteur de revues scientifiques se doit de rester en éveil » [9].
En France également, l’UNAFORMEC (Union Nationale des Associations de Formation Médicale et d’Evaluation Continues) déclare dans le Bibliomed n° 292 du 6 février 2003 : « La déclaration des conflits d’intérêt implique pour nous une révolution culturelle. Il faudra bien trouver la manière d’énoncer ce qui devient incontournable » [10] et fait partie intégrante de La Charte de Qualité de l’UNAFORMEC. Nous trouvons en effet au § 4 de celle-ci : “L’indépendance vise à assurer que l’action de FMC (Formation Médicale Continue) a pour objectif la qualité des soins et n’est pas détournée vers d’autres objectifs, ou vers des intérêts contraires à la santé publique. Dans cet esprit, l’indépendance de la FMC doit s’apprécier vis à vis de toutes les sources de financement mais aussi vis à vis des intérêts particuliers de tout organisateur ou de toute personne ou corporation professionnelle impliquée à divers degrés dans la réalisation de la formation.
Elle peut s’apprécier à partir de trois principes :
- séparation entre les financements extérieurs et la formation à tous les niveaux de son organisation. Le choix des thèmes et des objectifs de la formation, le choix des intervenants et des experts, le contenu et les modalités de la formation doivent être de la responsabilité exclusive de l’organisme organisateur ; tout aspect promotionnel publicitaire doit être identifié et distingué de la formation ;
- transparence concernant tant les modalités de financement (précisant clairement les engagements réciproques) que les conflits d’intérêts potentiels des organisateurs ou des experts (qui doivent être identifiés et signalés) ;
- pluralisme des points de vue, soit par la participation d’experts d’écoles différentes et de mode d’exercice différents, soit par la présentation des diverses stratégies possibles ou par une documentation associée” [11].
Est-il possible de tenir compte de tout cela ? Les experts nomment-ils leurs conflits d’intérêts ?
En parlant avec les personnes confrontées à ce problème, j’ai tendance à répondre « non » à ces questions. Pas mal d’experts semblent « oublier » de signaler qu’ils ont des conflits d’intérêts, ou considèrent à tort qu’ils n’en ont pas, ou encore, disent qu’ils ont des conflits d’intérêts avec tellement de firmes que c’est comme s’ils n’en avaient pas !
Bref, nous pouvons facilement imaginer que l’objectivité réelle de l’évaluation des études cliniques qui mènent à la décision de rembourser ou non un médicament est parfois (souvent ?) sujette à caution.
Cet esprit critique doit aussi nous stimuler, à l’échelle belge, à nous poser des questions quant à la pertinence de la décision d’admettre un médicament au remboursement par la Commission d’Enregistrement des Médicaments et à ne pas lui faire une confiance aveugle sous prétexte que ceux qui y siègent sont des personnes « au dessus de tout soupçon ». Reste à savoir si lorsque le Ministre prend la décision sur proposition de la Commission, c’est ce problème de conflits d’intérêts qui est un des moteurs de la prise de décision ou non … !
J’emprunte la conclusion au Dr Jean-Pierre Boissel :« Nous sommes tous porteurs de conflits d’intérêts et ils ne se limitent pas au domaine financier. Il faut apprendre à être vigilant et à ne pas chercher à les éviter à tout prix car c’est irréaliste. Mais plutôt les faire apparaître au grand jour. Il faut aussi apprendre à séparer l’opinion de l’expert des données actuelles de la science, le poids d’une recommandation du niveau d’une preuve. En la matière, transparence, raison garder et bon sens sont les maîtres mots ». [12] « Les conflits d’intérêts : les reconnaître, les gérer, assurer l’indépendance de notre information.
Voir aussi :
- Bibliomed n° 91 –263 –264 et 292
- La Revue Médecine qui a publié plusieurs articles intéressants sur le sujet :
- Information médicale et conflits d’intérêts : un duo infernal ? La rédaction de Médecine Vol. 2, N° 10, p 436-437
- Conflits d’intérêts (première partie) :pas seulement financiers – Jean-Pierre Boissel Vol. 2, N° 10, p 468-470
- Conflits d’intérêts : nous sommes tous concernés Pierre Gallois, Jean-Marc Charpentier, Jean- Pierre Vallée, Yves LeNoc Vol. 2, N° 10, p 456-461
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Notes
[1] Bibliomed n° 292 du 6 février 2003
[2] Rapport annuel 2004-2005 du KCE, p12 – http://kce.fgov.be/Download.aspx?ID=201
[3] Rapport annuel 2004-2005 du KCE, p12 – http://kce.fgov.be/Download.aspx?ID=201
[4] Le Moniteur, 2 MAI 2006. – Arrêté ministériel portant approbation du règlement d’ordre intérieur de la Commission de remboursement des médicaments
[5] La Revue Prescrire juin 2005/Tome 25 n°262 pp 461-462
[6] La Revue Prescrire juin 2005/Tome 25 n°262, p 467
[7] La Revue Prescrire juin 2005/Tome 25 n°262, p 467
[8] La Revue Prescrire avril 2006/Tome 26 n° 271, p 297
[9] La Revue Prescrire juin 2006/Tome 26 n°273
[10] Bibliomed n° 292 du 6 février 2003
[11] Unaformec. Charte d’indépendance et de qualité de la FMC.
[12] Conflits d’intérêts (deuxième partie) : acteurs et processus – Jean-Pierre Boissel Vol. 3, N° 1, p 34-37