Selon l’équipe du dr. Pieter G Postema, (Department de Cardiologie, Heart Center, Amsterdam University Medical Centers), l’accès des patients à la mexilétine pour la prévention de la tachycardie ventriculaire (TV) et de la fibrillation ventriculaire (FV) est gravement menacé (1). Cela découle de l’autorisation de mise sur le marché par l’Agence européenne des médicaments (EMA) en décembre 2018 du chlorhydrate de mexilétine, désormais vendu sous le nom de “ Namuscla ’’ par Lupin Europe GmbH, en tant que médicament orphelin pour les myotonies non dystrophiques.
En tant que tel, le prix de la mexilétine a grimpé à environ 65 000 € par patient et par an dans les pays européens (prix variant selon la dose et la situation géographique de 17 000 € à 85 000 €), non seulement pour les patients atteints de myotonie non dystrophique mais aussi pour les patients en cardiologie qui, depuis les années 1970, utilisent la mexilétine pour prévenir les TV / FV. En conséquence, nos systèmes sociaux de soins de santé sont soudainement accablés par une autre augmentation considérable des coûts des soins de santé pour un médicament dont le prix était auparavant d’environ 450 à 4400 € par patient et par an (importation ou production).
Il convient de noter que ce cas ne fait qu’ajouter à nos problèmes persistants avec les médicaments pour prévenir la TV / FV (par exemple la quinidine). Transmis par emed ce 3 févr. 2020 Cette perversion de la législation sur les médicaments orphelins connaît d’autres exemples : certains médicaments censés être “de niche”, comme l’imatinib (Glivec°) et le trastuzumab (Herceptin°), ont progressivement été autorisés dans de nombreuses indications thérapeutiques, sans que leur prix ne soit revu à la baisse (2).
“Saucissonnage” d’indications thérapeutiques. En plus d’avantages légaux associés aux développements de médicaments orphelins, ceux-ci apportent aussi d’autres avantages liés à leur nature. D’abord, les essais cliniques nécessaires pour leur autorisation sont plus petits et donc en général moins coûteux, même si le recrutement des participants peut s’avérer plus long. Ensuite, les médicaments orphelins sont destinés à des marchés où n’existent que peu ou pas d’alternatives thérapeutiques, limitant d’autant le pouvoir de négociation des régimes d’assurance.Afin d’obtenir la désignation de médicament « orphelin »les firmes ont intérêt, dans un premier temps, à demander une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour une indication thérapeutique restreinte, correspondant autant que possible à une affection touchant moins de 5 personnes sur 10.000.
Le médicament peut ensuite être soumis à nouveau pour une nouvelle indication thérapeutique restreinte et accumuler les désignations de médicament “orphelin”.
Cette pratique de “saucissonnage” des indications thérapeutiques est d’ailleurs devenue la norme, constituant la principale stratégie corporative pour accroître les ventes des médicaments “orphelins”. Ainsi l’imatinib (Glivec°) a reçu 7 autorisations de mise sur le marché pour des indications différentes, obtenant ainsi 7 fois le statut de médicament “orphelin” aux États-Unis, et la substance interféron, mise sur le marché sous 9 noms de marque différents, a quant à elle obtenu 33 désignations de médicament “orphelin”. Par ailleurs, le “saucissonnage” des indications thérapeutiques est aussi un moyen efficace pour obtenir une période d’exclusivité supplémentaire en étendant la protection des données réglementaires, permettant ainsi de redonner de la rentabilité à un médicament dont le brevet a expiré.
Après s’être implanté dans des niches thérapeutiques au prix fort, la firme productrice va négocier à la baisse le prix de son produit en segmentant le marché par niveaux de solvabilité tant au niveau international qu’au niveau national (via les assurances privées ou complémentaires, concurrentes entre elles) (J.C. Salomon – 2016). Ces ristournes seront tenues secrètes et la durée de protection du brevet sera prolongée au maximum via des pseudo-modifications galéniques ou l’obtention d’indications thérapeutiques complémentaires. Concernant les pays en développement, en signant des accords de licence volontaire avec des fabricants de génériques leur permettant d’exporter à moindre coût le produit en question vers des pays à bas et moyens revenus, la firme interdira dans cet accord toute exportation vers les pays dont le marché est le plus intéressant financièrement pour elle tout en neutralisant toute possibilité de compétition par les médicaments génériques (cf. l’exemple de Gilead et du Sofosbuvir dans le traitement de l’hépatite C).
Voir aussi : Enjeux économiques de l’innovation dans les maladies rares