Liège, le 3 février 2021
COMMUNIQUE DE PRESSE
Faible prise en compte des conflits d’intérêts au sein des facultés de médecine belges, selon une asbl de médecins et les organisations de défense et représentation des étudiants en médecine
Des médecins membres de l’asbl GRAS (Groupe de Recherche et d’Action pour la Santé) ainsi que des chercheurs en sciences politiques du centre Spiral de l’ULiège publient les résultats de leurs recherches sur l’indépendance de la formation médicale en Belgique. Cette étude, parue le 10 février 2021 dans la revue scientifique PLOS ONE, démontre l’absence de politique claire d’encadrement des conflits d’intérêts (CI) liés à l’industrie pharmaceutique (entreprises de dispositifs médicaux inclus) au sein des facultés de médecine du pays. Une situation de conflit d’intérêt potentiel survient lorsque le jugement professionnel concernant un intérêt principal (par exemple, fournir une information scientifique non biaisée) a tendance à être influencé par un intérêt secondaire (par exemple, un intérêt financier). Les auteurs rappellent l’importance d’une médecine plus indépendante vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique. Ils ont le soutien des organisations de défense et représentations des d’étudiants en médecine : le BeMSA, le CIUM et le VGSO.
L’asbl GRAS (http://gras-asbl.all2all.org/qui-sommes-nous/) œuvre à la promotion d’une médecine plus libre et indépendante. Le Spiral (https://www.spiral.uliege.be/) est un centre de recherche spécialisé en matière de gouvernance, de gestion des risques et d’analyse des politiques publiques.
La recherche concerne les six premières années d’enseignements, jusqu’au concours de spécialisation et porte sur les dix facultés de médecine belges : cinq néerlandophones (UAntwerpen, UGent, UHasselt, KUL et VUB) et cinq francophones (UCL, ULB, ULiège, UMons et UNamur). Elle évalue l’existence et la qualité des politiques d’encadrement des CI au niveau des facultés pour l’année 2019. Pour ce faire, les auteurs ont adapté au contexte belge quinze critères développés dans les études internationales et ont présenté leurs résultats sous la forme d’un classement.
Les critères portent sur l’évaluation des dispositifs mis en place par les facultés afin de sensibiliser les étudiants et de limiter leurs contacts avec l’industrie pharmaceutique. Ces critères concernent, entre autres : les cadeaux et échantillons de médicaments, les repas, les contacts des étudiants avec des délégués commerciaux, les enseignements relatifs aux conflits d’intérêts, les financements de la faculté liés à l’industrie pharmaceutique, etc.
Pour la réalisation du classement, les informations ont été recueillies sur les sites internet des différentes facultés de médecine. Par la suite, le bureau du doyen de chacune d’entre elles a été contacté pour les avertir de l’étude et leur demander des informations sur la gestion des CI au sein de leur institution. Les résultats intermédiaires leur ont également été envoyés pour vérification. Le Collège des Doyens de médecine flamands a notifié aux auteurs son refus de prendre part à la réalisation du classement.
Les résultats de l’étude traduisent une faible prise en compte de la problématique des CI par les autorités académiques au sein des facultés de médecine du pays. En effet, seules 4 facultés sur 10 disposent de politiques sur le sujet mais celles-ci restent très limitées et largement insuffisantes. Les meilleures élèves sont l’UGent et l’UCL avec un score de 3 points sur un total de 30. Les suivantes sont la KUL et l’UHasselt avec un score de 1 point. Pour les 6 autres facultés, nous n’avons pu retenir d’informations pertinentes sur un éventuel encadrement des CI.
La recherche se base sur des études similaires réalisées d’abord aux Etats-Unis[1] puis en Australie[2], au Canada[3], en France[4] et très récemment en Allemagne[5]. Ce mouvement en faveur d’une médecine plus indépendante et transparente est largement porté par les étudiants en médecine. Aux Etats-Unis, c’est l’AMSA (American Medical Student Association) qui réalise, entre autres initiatives, ces classements depuis 2007. En Amérique du Nord, ces initiatives ont permis une meilleure prise en compte de la problématique et une amélioration de la gestion des CI au niveau des facultés de médecine. Nombre d’entre elles sont citées comme exemple : Stanford aux Etats-Unis (sous l’impulsion de l’AMSA), ou la Western University au Canada. Les résultats positifs en termes de qualité de prescription et de soins découlant de ces nouveaux enseignements font déjà l’objet de publications dans les revues médicales de référence[6],[7]. Cette dynamique est d’ailleurs renforcée par la prise de position publique de certains officiels, comme le président de l’Association des facultés de médecine canadiennes, qui souligne la responsabilité des facultés de médecine concernant la formation qu’elles dispensent au sujet des conflits d’intérêts.[8]
En France, suite à la publication du classement en 2016 par l’association Formindep, les Conférences nationales des Doyens de facultés de médecine et des Doyens des facultés d’odontologie français ont adopté une charte éthique afin d’assurer une formation médicale plus indépendante.
En 2019, des associations d’étudiants de médecine à l’échelon international (IFMSA), européen (EMSA) et belge (BeMSA) ont également pris position sur la question. Elles ont attiré l’attention sur le manque de préparation des étudiants de médecine à la gestion des CI. Elles ont aussi invité les pouvoirs publics et les universités à adopter des politiques et des guidelines afin d’encadrer l’influence de l’industrie pharmaceutique (entreprises de dispositifs médicaux inclus) dans la formation médicale.
La recherche belge est soutenue par les chercheurs ayant contribué aux études françaises et canadiennes, parmi lesquels Barbara Mintzes, assistant Professeur aux Universités de Sydney et de British Columbia, auteure du manuel publié par l’OMS et l’HAI “Understanding and Responding to Pharmaceutical Promotion : A practical guide” [9] .
Par cette étude, les auteurs espèrent une prise de conscience de la problématique des CI dans le secteur médical ainsi que de l’importance d’une formation médicale de qualité, sans influence et indépendante d’intérêts financiers. Les auteurs soutiennent toutes les initiatives déjà mises en place au sein des facultés pour préparer les étudiants aux interactions avec l’industrie pharmaceutique et encouragent le développement d’autres projets.
Le lien vers l’étude en ligne, publiée dans la revue PLOS ONE le 10 février 2021: https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0245736
Contacter les auteurs : Lucas Bechoux, Florence Verhegghen, Cécile Vanheuverzwijn, Fabian Colle, Alizée Detiffe et Oriane De Vleeschouwer ranking.belgian.faculties@gmail.com
[1] http://www.amsascorecard.org/
[2] Mason P., Tattersall M.H.N., (2011), Conflicts of interest : a review of institutional policy in Australian medical schools, The Medical Journal of Australia
[3] Shnier A., Lexchin J., Mintzes B., Jutel A., Holloway K., (2013), Too Few, Too Weak: Conflict of Interest Policies at Canadian Medical Schools, PLoS ONE
[4] Scheffer P, Guy-Coichard C, Outh-Gauer D, Calet-Froissart Z, Boursier M, Mintzes B, et al., (2017), Conflict of Interest Policies at French Medical Schools: Starting from the Bottom, PLoS ONE
[5] http://interessenkonflikte.com/ranking/
[6] Kesselheim A.S., (2013), Drug company gifts to medical students: the hidden curriculum, BMJ
[7] King Marissa, Essick Connor, Bearman Peter, Ross Joseph S., (2013), Medical school gift restriction policies and physician prescribing of newly marketed psychotropic medications: difference-in-differences analysis, BMJ
[8] Busing N., (2011), Canadian faculties of medicine not in denial, CMAJ
[9]https://haiweb.org/encyclopaedia/promotion-of-medicines/