EFFETS CARDIOVASCULAIRES INDESIRABLES
Plusieurs RCTs ont été construites pour évaluer la sécurité des coxibs. Comme les firmes voulaient surtout démontrer la soi-disant meilleure tolérance digestive de ces molécules, les études ont été construites dans ce sens. Dans ce type d’étude, le risque d’infarctus du myocarde est, par exemple, plus important avec le rofécoxib qu’avec la naproxène (étude VIGOR, Bombardier 2000).
Dans une autre étude, CLASS, (Silverstein 2000), l’incidence d’événements cardiovasculaires indésirables n’est pas, dans la publication initiale, différente selon les groupes célécoxib, ibuprofène ou diclofénac. Les données complètes de l’étude, révélées par la FDA, montrent cependant une différence significative (OR 1,17 ; IC à 95% 0,99-1,39) d’effets indésirables sérieux dans le groupe célécoxib. Un examen post hoc de ces données (Strand 2002) réinterprété par un autre auteur (FitzGerald 2003) indiquent, sans analyse statistique des chiffres : célécoxib incidence de 1,4% d’effets cardiovasculaires thromboemboliques sérieux, diclofénac 1,6% et ibuprofène 0,7%. Une autre étude comparant rofécoxib et naproxène montre une tendance à une majoration de l’incidence d’événements cardiovasculaires thrombotiques (ATCP, y compris infarctus du myocarde) avec la rofécoxib (0,4% versus 0,3%, différence non significative, p>0,2 ; 5 infarctus du myocarde pour le groupe rofécoxib pour 1 dans le groupe naproxène ; p>0,2). Un autre auteur (Wright 2002), sur base des données complètes publiées par la FDA, indique une incidence cumulée accrue pour l’infarctus du myocarde, les événements ischémiques et la survenu de fibrillation auriculaire pour le célécoxib par rapport aux autres AINS (RR 1,55 ; IC à 95% 1,04-2,30).
Les données connues de la dernière étude en date (APPROVe), arrêtée prématurément, semble montrer l’apparition de ce risque même à une dose dite plus faible, mais après un certain temps d’utilisation (18 mois).
Pour le lumiracoxib, une étude d’une durée de 52 semaines (Schnitzer 2004), a montré une tendance à l’augmentation de risque (infarctus du myocarde non fatal et silencieux, accident vasculaire cérébral ou décès d’origine cardiovasculaire) : HR 1,14 (IC à 95% 0,78-1,66 ; p=0,5074).
Les données concernant l’incidence d’insuffisance cardiaque sont contradictoires : incidence accrue pour le rofécoxib versus célécoxib dans une étude (Whelton 2001), non statistiquement différente pour le rofécoxib versus célécoxib (Whelton 2002), non statistiquement différente pour le rofécoxib versus naproxène dans une troisième étude (Hawkey 2003).
Ces RCTs n’avaient cependant pas la puissance nécessaire pour établir le risque cardiovasculaire avec certitude.
D’autres RCTs, conçues pour évaluer l’efficacité des coxibs livrent des indications sur les effets indésirables observés. Les conclusions sont encore plus difficiles. Soit ces RCTs ne mentionnent pas si des effets cardio-vasculaires indésirables (sérieux ou non) sont survenus, soit mentionnent que certains sont survenus sans les détailler (en arguant, parfois, du fait qu’ils n’ont pas été attribués, par les auteurs, au médicament évalué), soit en les détaillant mais en mentionnant qu’ils n’ont pas été attribués, par les auteurs, au médicament évalué. Pour chaque coxib étudié (célécoxib, étoricoxib, rofécoxib, parécoxib et vadécoxib), des survenues d’événements cardiovasculaires indésirables sérieux (rares) sont mentionnées dans une ou plusieurs études dont la durée est généralement courte et la puissance insuffisante pour établir le risque cardiovasculaire avec certitude. Une étude dans une population particulièrement à risque (pontage coronarien) (Ott 2003) montre, par exemple plus d’infarctus du myocarde (5/1) d’événements cérbrovasculaires (9/1) dans le groupe parécoxib-valdécoxib que dans le groupe placebo (différence non significative).
Etant donné les incertitudes soulevées par toutes ces RCTs, il est intéressant de consulter les analyses d’observation et les synthèses de la littérature sur ce sujet.
Le risque cardiovasculaire semble, pour le rofécoxib en tout cas, croître ou apparaître après un certain délai d’utilisation du coxib. Dans une étude d’observation (Solomon 2004) cependant, le rofécoxib provoque plus d’hospitalisation pour infarctus que le célécoxib, mais uniquement pendant les périodes inférieures à 90 jours de traitement. Il est communément admis, actuellement, qu’un délai d’observation insuffisant (moins de 8 à 12 mois) pourrait ne pas rendre compte de l’augmentation de ce risque (OHSU 2003). Pour le rofécoxib, ce risque a initialement été corroboré à la dose utilisée (Ray 2002).
EFFETS THROMBO-EMBOLIQUES (à départ veineux)
Dans une RCT avec le lumiracoxib (Schnitzer 2004), un risque semblable de thrombose veineuse est observé avec le lumiracoxib (0,07%) et les autres AINS (naproxène, ibuprofène). Les données complètes de l’étude CLASS par la FDA donnent pour l’incidence de TVP : célécoxib 0,3%, diclofénac 0,5%, ibuprofène < 0,1%. Les données actuelles sont insuffisantes pour permettre de conclure quant aux effets indésirables thrombo-emboliques plus important des coxibs.
Suites : LLG n°44, décembre 2004
La Lettre du GRAS et les coxibs : de nombreuses publications depuis l’an 2000
Action n°50 : Rofécoxib (Vioxx ®) mars 2000 : publicité médiatique indirecte à la télévision – Minimisation des effets secondaires.
Publications :
LLG n° 25 (mars 2000) : enfin un médicament intelligent !
LLG n° 26 (juin 2000) : Les placebo dangereux ?
LLG n° 28 (décembre 2000) : Les Cox-2 à la mode de chez nous.
LLG n° 29 (mars 2001) : A propos du rofécoxib
LLG n° 35 (septembre 2002) : Nous nous sommes faits encoxibés.
LLG n° 38 (juin 2003) : Coxibs : troubles psychiatriques et choc anaphylactique
LLG n° 43 (septembre 2004) : Fraudes et rétention : (les Coxibs) moins d’effets indésirables prévus mais davantage observés.
Suite à l’annonce du retrait du Vioxx ® , nous avons publié une communication en commun avec les autres sources d’information pharmacothérapeutique indépendante en Belgique, message repris simultanément sur les différents sites propres à chacune de ces associations. En voici le texte in extenso.
RETRAIT MONDIAL DU ROFECOXIB
samedi 9 octobre 2004
Cette communication est publiée simultanément sur les sites web du
- Centre Belge d’Information Farmacothérapeutique (C.B.I.P.)
- Groupe de Recherche et d’Action pour la Santé (GRAS)
- Projekt Farmaka asbl
- Groupe de travail Formulaire MRS
- Minerva asbl
Le 30 septembre 2004, il a été annoncé que les spécialités à base de l’anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) COX-2 sélectif rofécoxib (Vioxxâ, VioxxDolorâ) étaient mondialement retirées du marché, et ce à l’initiative de la firme productrice MSD.
Cette décision a été prise suite à la connaissance des résultats préliminaires de l’étude APPROVe (Adenomatous polyp prevention on Vioxx), une étude contrôlée versus placebo sur l’effet du rofécoxib (25mg par jour) sur le risque de récidive de polypes du côlon chez des patients avec des antécédents d’adénomes colo-rectaux ; il s’agissait de patients à risque cardio-vasculaire faible. Lors de l’analyse intérimaire après 18 mois, un risque accru d’accidents cardio-vasculaires graves (entre autres d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral) a été retrouvé dans le groupe rofécoxib. Dans le groupe rofécoxib, sur les 18 mois, un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral est survenu chez 3,5% des patients dans le groupe rofécoxib, versus 1,9% dans le groupe placebo (p < 0,001). Cela signifie que pour 1000 patients, il y a eu 16 incidents en plus avec le rofécoxib qu’avec le placebo.
Déjà en 2001, la possibilité d’un risque accru d’accidents cardio-vasculaires avec le rofécoxib avait été avancée sur base de l’étude VIGOR, une étude comparative entre le rofécoxib et la naproxène. Des doutes persistaient cependant à ce moment, étant donné qu’il n’était pas évident s’il s’agissait d’un effet néfaste du rofécoxib ou d’un effet cardio-protecteur de la naproxène. En effet, contrairement au naproxène, le rofécoxib n’a pas d’effet antiagrégant.
Suite au retrait du rofécoxib, se pose la question de savoir si un risque accru d’accidents cardio-vasculaires existe aussi avec les autres AINS COX-2 sélectifs [célécoxib (Celebrexâ), étoricoxib (Arcoxiaâ), valdécoxib (Bextraâ)]. En d’autres mots, s’agit-il d’un effet de classe ? Bien qu’il ne soit pas possible pour le moment d’apporter une réponse univoque à cette question, un certain nombre de remarques peuvent être faites.
- Les AINS COX-2 sélectifs n’influencent pas l’agrégation plaquettaire, mais, à l’instar des AINS non sélectifs, ils inhibent la synthèse vasculaire de prostaglandines. Ceci pourrait être un argument en faveur de l’existence d’un effet de classe.
- Avec le rofécoxib, le risque est apparu clairement dans une étude randomisée contrôlée, et ceci seulement après 18 mois. Les données à long terme concernant les autres AINS COX-2 sélectifs sont limitées.
Que pouvons-nous en tirer comme conclusion pour l’utilisation des autres AINS COX-2 sélectifs ?
Dans l’attente de données supplémentaires, il est raisonnable de n’utiliser les AINS COX-2 sélectifs que si un AINS est vraiment nécessaire chez un patient présentant un risque élevé de complications gastro-intestinales liées aux AINS. A ce sujet, il ne faut pas oublier que les AINS COX-2 sélectifs entraînent peut-être un peu moins de complications gastro-intestinales, mais il est certain qu’ils ne sont pas dénués de tout risque dans ce domaine.
Chez les patients nécessitant une protection cardio-vasculaire, un traitement par faible dose d’acide acétylsalicylique, doit en principe être poursuivi lors d’un traitement par un AINS COX-2 sélectif. L’acide acétylsalicylique augmente dans ce cas le risque de problèmes gastro-intestinaux et dès lors, l’avantage d’une sécurité gastro-intestinale plus grande d’un AINS COX-2 sélectif tombe. La présence à l’anamnèse d’incident cardio-vasculaire ou d’un risque élevé pour celui-ci est cependant une contre-indication pour leur usage.
Cet incident avec le rofécoxib souligne une fois encore l’importance de suivre de manière systématique (e.a. par des études contrôlées) les effets indésirables des médicaments et leur rapport risque/bénéfice, après leur enregistrement et commercialisation. En effet, les risques et les bénéfices des médicaments ne peuvent être correctement évalués que lorsqu’ils sont utilisés après commercialisation durant une longue période par un grand nombre de personnes non sélectionnées.
Des informations plus détaillées sur ce retrait peuvent être obtenues sur les site web suivants
Ces derniers jours, un certain nombre d’articles ont été publiés dans des revues renommées :
- Lancet 9 octobre 2004
- New England Journal of Medicine : articles « early release » via le site web, dont la publication est prévue dans le numéro du 21 octobre 2004
- British Medical Journal 9 octobre 2004