action n° 96 (08.2005) : de la timidité excessive à la phobie sociale, des sautes d’humeur au trouble explosif intermittent, de l’enfant difficile au TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité) : attention à la MARCHANDISATION DE LA MALADIE (Disease Mongering)

Sensibilisation des prestataires de soins, du public et des décideurs aux risques inhérents à la marchandisation de la maladie.

Disease Mongering, par Monique Debauche

A Newcastle, en Australie, en avril dernier a eu lieu le premier colloque international sur le thème du disease mongering.

Ce terme anglais n’a pas de traduction en français. Il désigne le fait de voir la maladie partout et par conséquent de s’en faire le porte-parole, le revendeur.

Dans le monde de l’industrie pharmaceutique, c’est la tendance à faire la promotion d’une « maladie » pour vendre une molécule.

On peut dire, avec O. Faure [1] , qu’il y a une demande sociale importante de médicament, remontant au 19e siècle, qui impose en réponse au médecin de prescrire et par voie de conséquence, qui incite les fabricants à produire certains médicaments plutôt que d’autres.

La médicalisation de la vie quotidienne et du patient sain était déjà dénoncée, il y a 30 ans, par I. Illich [2].Une critique de libertaire qui n’a rien perdu de sa pertinence puisqu’en 1999, il poursuivait : « la recherche de la santé est devenue le facteur pathogène prédominant » [3].

Nous assistons depuis quelques années à un emballement préoccupant de ce processus et à la création de toutes pièces par l’industrie pharmaceutique d’une demande forte liée à de nouveaux diagnostics. La surconsommation médicamenteuse, induite par ce phénomène de disease mongering, est, de par ses effets iatrogènes, dommageable pour la Santé Publique et est la cause d’un gaspillage financier important tant pour le patient que pour les finances publiques.

Comment fait-t-on le commerce d’une maladie ?

Le principe est d’élargir le plus possible les frontières du pathologique pour y inclure un maximum de personnes. Soit en transformant un trouble mineur en maladie, soit en élargissant les critères d’une maladie existante, soit encore en traitant des facteurs de risques sans qu’en définitive le pronostic du patient ne soit amélioré.

Les firmes pharmaceutiques lancent des campagnes d’ « informations » sur des « maladies » qui n’ont pas pour but de faire de la prévention ou de la promotion de la santé mais bien de convaincre le public de l’existence d’une nouvelle pathologie, avant de commercialiser quelque temps plus tard la molécule qui est supposée corriger le trouble. Quand le médicament est mis sur le marché, les prescripteurs comme les patients sont déjà en attente de cette « nouvelle solution miracle ».

Différents acteurs de la santé contribuent à ce phénomène, les firmes pharmaceutiques concernées au premier chef mais aussi des groupes de médecins ou certaines associations de patients dont les intérêts sont intriqués avec ceux des premières.

Les exemples sont nombreux :

Tous les soucis quotidiens sont susceptibles d’ouvrir un marché et de créer une demande pour un médicament. Par exemple :

  • Des problèmes communs qui deviennent des maladies : la médicalisation de la ménopause, du syndrome prémenstruel, de la diminution du désir sexuel chez la femme (female sexual dysfunction qui toucherait 43% des femmes), le côlon irritable ou le syndrome des jambes sans repos…
  • Le traitement de facteurs de risque comme étant en eux-mêmes des maladies : hypercholestérolémie, ostéoporose.
  • Par la standardisation des comportements humains qui détermine une norme et donc des déviances, le DSMIV dans le domaine de la Santé Mentale constitue une source abondante pour les vendeurs de maladie. Les troubles à succès actuellement sont : la dépression sous toutes ses formes, la phobie sociale, le trouble explosif intermittent, les déficits de l’attention et hyperactivité, ainsi que les troubles bipolaires. Ces deux derniers ouvrant de façon spectaculaire et inquiétante la porte au marché des enfants, relativement préservé jusqu’à présent.

Comment reconnaître le disease mongering ?

En général, il s’agira d’un trouble à haute prévalence facilement reconnaissable par le public et qui touche différents aspects de la vie (affective, professionnelle…) . Des symptômes qui peuvent être de très discrets, subclinique (ce qui rend la frontière avec la vie normale floue) à sévères, voire létaux.

On nous dit que les patients atteints méconnaissent en général leur pathologie dans un premier temps, ce qui les conduit à être sous-estimés, sous diagnostiqués et sous-traités.

A cela s’ajoute tout le cadre de recherches entourant la pathologie vraie dans le discours de la médecine scientifique moderne.

Une recherche historique montre que problème est ancien et peut déjà se retrouver dans l’Antiquité et chez des personnages illustres de l’histoire. Il vient d’être mis à jour, mais a en fait toujours été là.

Le cours naturel de la maladie débute très tôt, parfois même dans l’enfance ou in utero.

L’implication d’une équipe universitaire anglo-saxonne, des articles dans des revues prestigieuses, des recherches génétiques, une hypothèse évolutionniste darwinienne, l’étude d’un modèle animal, des recherches en imagerie médicale, une hypothèse à base de neuroscience, un marqueur biologique, une échelle et un score diagnostic sont des attributs souhaitables pour lancer une nouvelle pathologie. Il faut bien souvent être spécialiste dans le domaine de la maladie concernée pour pouvoir contester la validité de cet attirail pseudo-scientifique.

La publicité est renforcée par la création d’une association de patients, d’un site Web destinés à l’ « information » du public. Et finalement la mise sur le marché d’un médicament efficace, très coûteux pour la Sécurité Sociale et qui devra être pris à vie pour permettre à des gens en bonne santé d’aller mieux.

En conclusion :

Le disease mongering est un problème sérieux puisqu’il détourne les ressources financières utiles pour des pathologies plus sévères, pour des thérapies non médicamenteuses et pour la santé des populations défavorisées.

Par définition, la frontière est floue entre la pathologie vraie et le problème qui nous occupe.

Les différents acteurs de ce système (industries, associations de patients, associations de médecins, fondation pour la santé) peuvent être de bonne foi en pensant promouvoir la santé, là où ils encouragent en fait le disease mongering.

Il est indispensable d’étudier, de surveiller et de faire connaître le développement de ce phénomène à l’avenir.

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Notes

[1] O. Faure in Histoire et Médicament aux 19e et 20e siècles, ouvrage collectif. Ed. Glyphe, 2006

[2] La Némésis Médicale, I. Illich, Seuil, 1975

[3] « Dans les pays développés, l’obsession de la santé parfaite est devenue un facteur pathogène prédominant. Le système médical, dans un monde imprégné de l’idéal instrumental de la science, crée sans cesse de nouveaux besoins de soins. Mais plus grande est l’offre de santé, plus les gens répondent qu’ils ont des problèmes, des besoins, des maladies. Chacun exige que le progrès mette fin aux souffrances du corps, maintienne le plus longtemps possible la fraîcheur de la jeunesse, et prolonge la vie à l’infini. Ni vieillesse, ni douleur, ni mort. Oubliant ainsi qu’un tel dégoût de l’art de souffrir est la négation même de la condition humaine » I.Illich, 1999