ACTION N° 176: Mise sur le marché des nouveaux médicaments anticancéreux : une utilisation trop fréquente des critères de substitution dans les essais cliniques

ACTION N° 176: Mise sur le marché des nouveaux médicaments anticancéreux : une utilisation trop fréquente des critères de substitution dans les essais cliniques 

En 2017, le British Medical Journal 17 publiait une évaluation des autorisations de mise sur le marché (AMM) de médicaments anticancéreux, octroyées entre 2009 et 2013 par l’Agence européenne des médicaments (EMA) (les procédures d’autorisation des anticancéreux se faisant au niveau européen). L’évaluation concernait aussi bien des AMM octroyées selon la procédure classique que des “AMM conditionnelles”. Il ressort de cette évaluation que l’AMM de la plupart de ces anticancéreux a été octroyée sans preuve d’un effet notable sur la survie ou la qualité de vie, mais en s’appuyant principalement sur des données intermédiaires telles que la survie sans progression, les marqueurs tumoraux et l’évolution de la taille de la tumeur. L’EMA réplique qu’il est très difficile de démontrer la prolongation de vie et que l’amélioration de la survie sans progression est un critère d’évaluation valable, car une survie prolongée s’accompagne souvent d’un retardement de l’apparition ou de l’aggravation des symptômes. Cfr. CBIP pour plus d’infos.

Des preuves erronées sous-tendent l’approbation de nouveaux médicaments anticancéreux https://www.bmj.com/content/366/bmj.l5399

Mise sur le marché des nouveaux médicaments anticancéreux : une utilisation trop fréquente des critères de substitution dans les essais cliniques Docteurs Cécile Conte et Fabien Despas (BIP n°1/2019, p.6) 

– SUITES –

Tout savoir sur les nouveaux médicaments anticancéreux pour obtention d’AMM : connaitre ou ne pas connaitre, telle est la question Docteurs Cécile Conte et Fabien Despas – Toulouse(BIP n° 2 de 2021)

Le domaine de la cancérologie présente un fort dynamisme en termes d’évaluation de nouveaux médicaments (1/4 des nouveaux médicaments ces 10 dernières années toutes spécialités confondues). Cet élan est la conséquence d’une meilleure compréhension de l’oncogenèse avec la découverte de nouvelles cibles pharmacologiques. Il s’inscrit également dans un contexte d’accès facilité au marché de ces nouveaux médicaments et d’une demande forte des patients d’avoir un accès rapide à l’innovation. Cependant, l’accès rapide à l’innovation n’est pas forcément bénéfique et des questions se posent sur les données d’efficacité et de sécurité réellement disponibles au moment de la mise sur le marché de ces médicaments. Dans ce contexte, une étude a décrit les données d’efficacité disponibles au moment de l’autorisation par la FDA de tous les nouveaux médicaments anticancéreux approuvés pour la première fois entre 2000 et 2016. Les résultats soulignent plusieurs points. Sur la période d’étude, 92 nouveaux médicaments anticancéreux ont été approuvés par la FDA sur la base de 127 essais cliniques. L’autorisation se basait majoritairement sur des essais cliniques conduits en ouvert et près de la moitié des essais étaient effectués sans bras comparateur. La moitié des essais comprenaient moins de 200 patients. Concernant les critères de jugement utilisés, seulement 54 (42%) essais présentaient des résultats reposant sur une amélioration de la survie globale (SG), donc une majorité à partir de critères intermédiaires. Les résultats montraient une augmentation de la SG mais avec une amélioration médiane assez réduite : 2,4 mois (JAMA Netw Open 2020 Nov; 3: e2024406). Face à ces résultats et aux limites méthodologiques abordées pour l’évaluation de ces médicaments : la dualité entre mise à disposition rapide des innovations et connaissances solides de ces nouveaux médicaments est un dilemme. Les essais cliniques et les études de phase IV complémentaires doivent être renforcés et accompagner toute la vie du médicament

KCE Reports 343 (2021) :

LES MÉDICAMENTS INNOVANTS CONTRE LE CANCER ONT-ILS TOUJOURS UNE RÉELLE VALEUR AJOUTÉE ?

Le KCE a été́ chargé d’examiner dans quelle mesure les médicaments oncologiques innovants extrêmement coûteux introduits ces 15 dernières années ont apporté une valeur ajoutée à la population belge. 

L’Agence européenne des médicaments (EMA) accorde souvent l’autorisation de mise sur le marché à des médicaments oncologiques sur la base de critères de substitution ou d’études single arm. De telles études ne permettent pas toujours de faire la preuve d’améliorations des outcomes qui comptent le plus pour les patients, à savoir la survie et la qualité de vie. La littérature montre que, pour la plupart des médicaments oncologiques, il existe encore d’importantes incertitudes quant à la valeur ajoutée pour le patient (ou une valeur ajoutée limitée) au moment de l’accès au marché.

Pour cette étude, le KCE a utilisé les données de la Fondation Registre du Cancer portant sur environ 814 000 patients entre 2004 et 2017. Pour 12 indications (dont le cancer du sein, colorectal, poumon, ovaire, prostate…) le KCE a sélectionné 40 médicaments oncologiques innovants. Pour la moitié des indications sélectionnées, aucune augmentation de la survie n’a pu être démontrée suite à l’introduction des nouveaux traitements. Pour l’autre moitié, l’augmentation de survie était  minimale. 

Une grande partie de ces médicaments sont remboursés par l’assurance maladie belge sans preuves suffisantes d’un réel bénéfice pour les patients. Le KCE plaide pour un système plus transparent qui mette davantage l’accent sur la véritable valeur ajoutée pour le patient de chaque nouveau médicament. Le GRAS demande aussi plus de transparence dans les processus d’admission au remboursement des  nouveaux médicaments, processus caractérisé à l’heure actuelle par une grande opacité

– SUITES –

Real-world Use of and Spending on New Oral Targeted Cancer Drugs in the US, 2011-2018

Mengyuan Fu, PhD1,2Huseyin Naci, MHS, PhD3Christopher M. Booth, MD4et alBishal Gyawali, MD, PhD4Austin Cosgrove, BS1Sengwee Toh, ScD1Ziyue Xu, MSc2Xiaodong Guan, PhD2Dennis Ross-Degnan, ScD1Anita K. Wagner, PharmD, MPH, DrPH1
JAMA Intern Med. Published online October 18, 2021. doi:10.1001/jamainternmed.2021.5983

Findings  In this cross-sectional study among 37 348 patients who received 1 or more of 44 new oral targeted cancer drugs, the proportion of patients receiving drugs without documented overall survival benefit increased from 13% in 2011 to 59% in 2018, accounting for 52% of the $3.5 billion estimated cumulative spending on the new oral targeted cancer drugs by the end of 2018.

                                           -SUITES-     LLG 123

                                                                                            Dans les Folia Pharmacotherapeutica de juillet 2022 :

L’avantage clinique de nombreux médicaments antitumoraux n’est pas clairement établi. L’une des raisons à la base de cette incertitude est l’utilisation parfois inadéquate de critères d’évaluation intermédiaires dans les études. Les commentateurs plaident pour une utilisation plus rationnelle des critères d’évaluation intermédiaires et pour un relèvement du seuil pour l’autorisation de ces médicaments. Cet article traite de critères d’évaluation intermédiaires fréquemment utilisés en oncologie, en s’attardant sur un certain nombre de problèmes tels que les faibles corrélations avec les critères d’évaluation qui importent réellement : la survie et la qualité de vie.

Voir aussi NATURE 19/04/2022 : Les traitements du cancer doivent bénéficier aux patients : une révolution de bon sens en oncologie de ishal Gyawali & Christopher M. Booth

De nombreuses thérapies anticancéreuses récemment approuvées offrent des avantages cliniques limités et sont pourtant toujours prescrites aux patients. Une révolution de bon sens en oncologie donnerait la priorité aux traitements qui améliorent significativement la survie et la qualité de vie. Bien que des progrès importants aient été réalisés dans certains domaines de la prise en charge du cancer, le secteur de l’oncologie perd de vue ce qui compte pour les patients. Le battage médiatique a éclipsé l’espoir, et la plausibilité biologique précède l’efficacité. La communauté des cancérologues célèbre les traitements censés changer la donne sur la base d’études à un seul bras, de données d’observation et même de modèles animaux. Même lorsque des essais contrôlés randomisés (ECR) fournissent des preuves de l’efficacité d’un traitement, ces études présentent de nombreux problèmes, notamment la promotion de la signification statistique au détriment de la signification clinique, l’utilisation de bras de contrôle de qualité inférieure et d’analyses de sous-groupes pour revendiquer les avantages du traitement, l’utilisation d’une conception de non-infériorité au lieu d’une conception de supériorité, et la promotion de l’efficacité sur la base de critères de substitution ou secondaires1 . Ces problèmes appellent une révolution de bon sens qui nécessitera des changements de paradigme dans l’éducation, la conception de la recherche et la prestation des soins contre le cancer.