La Feuille de route pour moderniser les procédures de remboursement en vue d’un accès rapide et durable aux médicaments proposée ce 27/03/2023 par le ministre fédéral belge de la santé, Frank Vandenbroucke, et l’INAMI ambitionne un accès plus rapide à l’innovation thérapeutique et diagnostique en simplifiant et raccourcissant les procédures d’accès au remboursement, et en améliorant l’évaluation scientifique de la plus-value de ces innovations
Cette réforme s’inscrit sur fond de polémiques. La plus-value douteuse, et les prix exorbitants de certains médicaments présentés comme « innovants » sont dénoncés en Belgique comme ailleurs (cfr. rapports KCE 1,2). D’autre part les processus de décisions aboutissant au remboursement des nouveaux médicaments et à leur prix manquent cruellement de transparence, et l’indépendance des avis et décisions de la Commission de Remboursement des Médicaments (CRM) est remise en cause (cfr. article Test Santé (3)) . Les avis de la CRM sont pourtant cruciaux pour les patients et mettent en jeu des milliards d’argent public chaque année.
Améliorer la qualité des évaluations scientifiques qui servent de base aux décisions de remboursement
Pour ce faire, le projet mise sur le recours à des expertises extérieures, prévoit de renforcer les collaborations internationales et envisage un contrôle de qualité de ces évaluations (point 3.3 de la feuille de route). Cette réforme prévoit une implication accrue des patients.
Un aspect important est le recours aux données en vie réelle « real world data », soit l’utilisation des données disponibles pour réévaluer le médicament lorsque ce dernier est remboursé depuis plusieurs années.
En effet souvent des remboursements sont accordés à de nouveaux médicaments alors que beaucoup d’incertitudes persistent quant à leur efficacité et leur innocuité. En théorie ces médicaments sont remboursés de manière temporaire dans le cadre d’un contrat entre l’industrie et les pouvoirs publics, jusqu’à ce que plus d’études soient disponibles pour lever ces incertitudes. Le but initial de ces contrats a été détourné au point qu’ils ne représentent plus que des moyens de négocier avec l’industrie, dans le plus grand secret, des rabais sur des prix outranciers. En pratique, les révisions de ces remboursements temporaires ne bénéficient pas de données probantes suffisantes et pour certains médicaments ces « remboursements temporaires » s’éternisent.
Le projet est donc de pouvoir faire ces révisions grâce à un meilleur accès aux « données de vie réelle » , à l’heure actuelle largement sous-exploitées. Pour ce faire, la feuille de route prévoit la création d’une plateforme indépendante dédiée à l’analyse de ces données. Elle propose aussi de limiter la durée des (nouveaux) contrats.
Le coût de ce système indépendant et robuste de génération de preuves et de ses bénéfices pour les firmes pharmaceutiques (simplification et accélération de l’accès au marché, avantages concurrentiels…) pourrait s’équilibrer avec les économies générées en mettant fin au flux continu de médicaments coûteux, à faible valeur ajoutée, approuvés dans le système actuel.
Indépendance et transparence ?
Ce projet ne modifie rien à la participation, à titre consultatif, de représentants de l’industrie pharmaceutique (pharma.be) aux débats de la CRM concernant l’admission au remboursement des nouveaux médicaments. Débats pendants lesquels Pharma.be use et abuse de son droit de parole pour influencer les votes, car les enjeux sont vitaux pour l’industrie : un médicament non remboursé se retrouve économiquement en mauvaise posture. L’absence notoire d’une politique de gestion des conflits d’intérêt digne de ce nom au sein de la CRM, et la non-publication des déclarations de conflits d’intérêt de ses membres votants (voir article de Test Santé(3)) ne sont guère abordés dans le projet VDB (point 7). Les progrès sur le plan de l’indépendance des décisions de remboursement de médicaments semblent donc limités à ce stade.
Le projet prévoit « la publication sur le site web des décisions de la CRM, avec une explication concise et compréhensible ». Il faut dire les rapports d’évaluation scientifiques de la CRM, les avis et décisions ne sont à ce jour pas publiés, au mépris d’une obligation légale et au contraire de ce qui se fait dans les pays qui nous entourent.
Réforme bienvenue, mais…
Nous ne pouvons que nous réjouir du renforcement annoncé de la rigueur de l’évaluation des nouveaux traitements pour justifier un juste remboursement. Au vu de l’intérêt scientifique de tout ce travail, et de ses implications tant pour les patients que pour les finances publiques, il est cependant regrettable que l’entièreté des données non couvertes par le secret commercial ne soit pas facilement accessible au public et au corps soignant comme c’est le cas dans d’autres pays.
En conclusion : Beaucoup de déclarations de bonnes intentions, affaire à suivre… Trouvera-t-on les compétences et les moyens pour arriver à ces fins ? La collaboration internationale BeneluxA, qui patine depuis son lancement en 2017, malgré les déclarations répétées de soutien politiques, finira-t-elle par décoller? Quand verra-t-on enfin publiés en ligne les rapports d’évaluation et les déclarations de conflits d’intérêts d’experts dont les avis pèsent si lourd sur l’avenir des patients et les finance publiques ?
L’exploitation des données « en vie réelle » disponibles en Belgique est attendue depuis longtemps. Cela s’inscrit dans une tendance observée depuis plusieurs années au niveau international, qui consiste à transférer la « charge des preuves » pour les médicaments, de la phase pré-commercialisation à la phase post-commercialisation. Cette stratégie – sous prétexte de mettre l’innovation le plus vite possible au service du patient, au détriment de données solides sur sa plus-value – évite à la firme qui développe le médicament de couteuses études avant la mise sur le marché de son produit, et transfère une partie de la responsabilité de la génération de données probantes aux pouvoirs publics. A l’heure d’aujourd’hui, les données promises sont rarement produites On peut comprendre que cela serve les intérêts de l’industrie pharmaceutique.
Pour le GRAS (4),
Dr Marc Bouniton, président, et dr Marie-Laurence lambert, ancienne experte scientifique pour la CRM.
(1) Mise sur le marché des médicaments et des dispositifs médicaux en Europe : manque de données probantes et solutions possibles (KCErapport 347B)
(3) Test Santé 172 (Novembre 2022) . Conflits d’intérêts dans le secteur pharmaceutique : Un jeu douteux avec l’argent de nos impôts
(5) Le GRAS est un mouvement de veille éthique soucieux de promouvoir de bonnes pratiques de soins de santé et une médecine indépendante. Il regroupe des travailleurs de la sante (surtout des médecins et des pharmaciens) au sein d’un réseau professionnel qui s’interrogent sur le bienfondé de certaines interventions médicales et pratiquent, entre autres, la PUBLIVIGILANCE® au travers d’actions de sensibilisation et de campagnes thématiques. www.gras-asbl.be