Pour une formation continue fondée sur une pédagogie par l’erreur et un recueil épidémiologique permettant d’appréhender le nombre d’accidents et leurs caractéristiques, afin d’en réduire le risque de récurrence.
SUITES :
PREVENONS LES ERREURS DANS L’UTILISATION DES MEDICAMENTS :
Marc Bouniton, MG, 17.11.2006
Réfléchir sur la prévention des erreurs médicamenteuses suppose d’abord de les (re)connaître. Comme le dit la revue Prescrire, taire les erreurs serait une erreur. Commençons par éviter celle-là. D’où la nécessité d’un recueil épidémiologique permettant d’appréhender le nombre d’accidents, leurs caractéristiques, afin d’en réduire le risque de récurrence. Il s’agit donc de déclarer les événements iatrogènes de manière standardisée pour en analyser les tendances et les causes systémiques, afin d’en assurer ensuite le retour d’informations auprès des praticiens à travers des structures d’évaluation entre pairs (GLEM).
Tout cela s’avère impossible sans un changement des mentalités et une protection légale de l’anonymat du praticien déclarant. Ces déclarations devraient être conservées dans une banque de données inaccessible au monde judiciaire. Les circonstances actuelles s’y prêtent avec la mise en place du fond d’indemnisation des accidents médicaux. Comment garantir la confidentialité des données notifiées dans ce cadre de déclaration volontaire pour éviter la sous déclaration et assurer l’absence de représailles en cas de déclaration d’erreurs? Evitons les attitudes répressives qui masquent le problème et retardent l’amélioration de la fiabilité de notre pratique médicale. Cette difficulté de modifier les mentalités des praticiens est liée en partie à la peur des poursuites judiciaires et à la culture médicale basée sur l’excellence qui ne perçoit les erreurs que comme des négligences ou de l’incompétence. Le discours de certains assureurs qui brandissent le risque de contentieux judiciaire décourage tout révélation d’erreur. Pourtant les compagnies d’assurance auraient tout à gagner à développer une politique préventive. Reconnaître une erreur n’est pas l’aveu d’une faute: une faute enfreint les procédures ou les normes instaurées pour la sécurité des patients et, à ce titre, constitue une négligence susceptible de sanctions. Une erreur, quant à elle, n’est pas délibérée et lorsqu’elle est intentionnelle, résulte d’une mauvaise appréciation ou d’un défaut de connaissances. Admettre l’existence d’une erreur n’est pas facile; cela exige de surmonter un sentiment de culpabilité. La comprendre et la décrire peuvent être les premiers moyens d’en déculpabiliser l’approche pour en tirer un support d’enseignement pour la pratique, pour mieux en protéger nos patients, pour en tirer les leçons et la rendre, in fine, utile. Il s’agit de favoriser l’émergence du « comment » et du « pourquoi » à côté de l’éventuelle responsabilité, du « Qui ».
Ces chiffres une fois obtenus permettront d’évaluer cette catastrophe sanitaire silencieuse et d’appliquer les méthodes classiques d’analyse du risque, comme celles développées avec succès en milieu industriel ou aéronautique par exemple. En France, la mortalité induite par les erreurs médicamenteuses est 3 à 4 fois plus élevée que celle occasionnée par les accidents de voiture. L’ignorance des risques encourus dans ce domaine par la population est la principale raison du retard mis à corriger les dysfonctions du circuit du médicament.
L’erreur médicamenteuse n’est pas seulement le fruit du hasard ou de la fatalité ; son origine en est souvent complexe et multifactorielle. On peut la décrire selon le niveau où elle se produit dans le circuit d’utilisation du médicament ( fabrication / contrefaçon, prescription, préparation, délivrance à l’officine, administration, information du patient ou entre professionnels de santé…) ou selon sa nature : contre indication non prise en compte, oubli d’adaptation posologique, dosage erroné, confusion entre formes médicamenteuses due à des carences au niveau de l’étiquetage, du conditionnement ou du rangement, défaut d’observance,… Pour éviter cet événement iatrogène médicamenteux, il faut rechercher à quelle défaillance de l’organisation des soins il y a lieu d’imputer cette erreur. L’analyse systémique du circuit du médicament montre que l’erreur médicamenteuse résulte de la conjonction de défaillances individuelles liées à l’attention, la mémoire, la surcharge de travail, la violation de certaines règles et des défaillances organisationnelles (mauvaise transmission d’informations p.ex. entre professionnels de santé ou entre soignant et soigné). Si certaines voies d’administration se révèlent plus à risques (IV, intrathécale), l’erreur de dosage reste la plus répandue, surtout en pédiatrie, favorisée par la confusion entre médicaments. A ce propos, il serait intéressant de savoir si la prescription en DCI améliore ou aggrave ce risque de confusion de molécule et de dosage.
Dans les maladies chroniques ou chez les personnalités passives/agressives, l’échec thérapeutique peut amener le praticien à maximaliser l’efficacité de sa thérapeutique avec les risques inhérents et des surdosages éventuels. Ainsi l’impatience du malade devant des symptômes d’origine virale ou dégénérative peut conduire à une escalade thérapeutique : antibiothérapie inutile, antitussifs narcotiques pour toux rebelle, morphiniques en cas d’arthrose algique rebelle…
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Refusons donc la théorie de la mauvaise pomme pour relever le défi ensemble, le médecin avec le pharmacien: la découverte d’une erreur est une chance d’améliorer notre pratique !
Il nous faut promotionner une formation continue fondée sur une pédagogie par l’erreur : nous apprenons plus par nos erreurs que par nos succès. Il n’existe pas encore en Belgique d’enseignement organisé sur les mécanismes conduisant à l’erreur. Etudions nos erreurs pour éviter l’évitable!
SOURCES :
1. Bulletin d’information du médicament et de pharmacovigilance 3-4/2002 du CRIM Rennes
2. La Revue Prescrire Eviter l’évitable : tirer parti des erreurs pour mieux soigner
Supplément au N° 267 Décembre 2005
Echos d’un membre de notre réseau :
« Je pense qu’il serait aussi utile
1. de renforcer le renforcement de la formation à la rédaction des prescriptions : 9% d’erreurs en UK, surtout chez les jeunes
2. de proposer de modifier les emballages : couleur par classe plutôt que par firme, noter en petit le nom de la firme. La boite de Merck-Enalapril ressemble plus à la boite de Merck-indapamide qu’à celle de Enalapril EG. Je suis pour la substitution par le pharmacien, mais là dans les génériques, il y a source majeure de confusion, surtout chez les personnes âgées, qui sont en plus les plus « polymédiquées »
3. de développer un outil national plus performant d’aide à la prescription, signalant les interactions et les précautions en cas de grossesse et d’ insuffisance rénale. L’excellent site du CBIP est très très faible à ce niveau (contrairement à celui du BNF, devenu, malheureusement, payant) »
A.C.
Suites : LLG n°57 – Mars 2008
Le numéro 12 de décembre 2007 des Folia [1] discute de cette problématique dans un article intitulé « L’erreur est humaine : erreurs de médication ». Plusieurs études montrent que les erreurs de médications et les erreurs thérapeutiques constituent un problème important en termes de morbimortalité et de coût sociétal : environ 7000 décès aux USA en 1993 (2 fois plus que lors du World Trade Center) [2] et 19.000 hospitalisations aux Pays-Bas en 2006 (étude HARM). Il serait temps qu’on prenne ce problème à bras le corps en Belgique [3] !
Suites : LLG n°58 – Juin 2008
EN FRANCE : Le Guichet Erreurs Médicamenteuses de l’Afssaps : bilan de 30 mois de phase pilote Communiqué de presse de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) 20 mai 2008
L’Afssaps a mis en place un Guichet Erreurs Médicamenteuses afin de recueillir les signalements d’erreur ou de risque d’erreur liés à la présentation ou à la dénomination des médicaments et de coordonner la gestion des signalements susceptibles de présenter un risque pour la santé publique. L’Afssaps présente aujourd’hui le bilan des 30 premiers mois de fonctionnement. En 2002, l’Afssaps a mis en place un groupe de réflexion sur l’erreur médicamenteuse afin de partager les expériences et points de vue des pharmaciens hospitaliers, des Centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) et de la Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins (DHOS). Cette concertation avait pour objectif d’élaborer une procédure de prise en charge des erreurs médicamenteuses liée à la présentation des médicaments. Dans ce contexte, l’Agence a défini un circuit de l’erreur médicamenteuse inhérente à la présentation ou à la dénomination du médicament et a créé en juin 2005, le Guichet Erreurs Médicamenteuses au sein du Département de la surveillance du risque, du bon usage et de l’information sur les médicaments.Le champ d’intervention de ce guichet porte sur les défauts de dénomination (confusion entre noms commerciaux de médicaments…), de présentation d’étiquetage, d’information (conditionnement primaire ou extérieur, notice, mise à disposition du RCP…), de conception du conditionnement (conditionnement inadapté, confusion entre formes), etc. De sa mise en place au 31 décembre 2007, le Guichet a enregistré 634 signalements d’erreur ou de risque d’erreur médicamenteuse, la majorité concernant des confusions entre des spécialités conditionnées sous forme d’ampoules de solution injectable, des défauts d’information ou de conditionnement, et des similitudes de noms. Dans leur majorité, ces signalements ont été traités dans le cadre d’une réflexion globale (harmonisation des étiquetages, conditionnement unitaire, charte graphique), ou ont nécessité une action spécifique (modification de l’AMM, retrait de lot ou communication). Les autres signalements relevaient plus spécifiquement d’un traitement local au niveau de l’établissement de santé, ou d’une structure nationale extérieure. A sa mise en place, le Guichet recevait des signalements exclusivement dans le cadre d’une phase pilote impliquant 12 équipes de binômes Centre régional de pharmacovigilance/Pharmacie hospitalière. Il a ensuite été rapidement identifié comme un lieu unique d’enregistrement et de centralisation des signalements d’erreurs médicamenteuses inhérentes aux médicaments par d’autres professionnels de santé tels que des infirmiers, des pharmaciens d’officine, mais aussi par des laboratoires pharmaceutiques. Après 30 mois d’activité, le bilan des signalements et des mesures correctrices souligne l’implication et la sensibilisation des professionnels de santé dans la prévention des erreurs médicamenteuses, et bien au-delà de la iatrogénie médicamenteuse, ainsi que l’importance de signaler les erreurs afin de les prévenir.Une rubrique dédiée aux Erreurs Médicamenteuses va prochainement être mise à disposition sur le site Internet de l’Afssaps afin de permettre, notamment, aux professionnels de santé de signaler les erreurs ou les risques d’erreur dont ils ont connaissance et d’être informés des mesures correctrices mises en place par l’Agence.
Et en Belgique, où en est-on ??? Nous n’avons pas eu écho de ce genre de démarche hormis au Centre Antipoisons qui a réalisé une intéressante synthèse sur les erreurs médicamenteuses à partir de son expérience des 10 dernières années.
Notes
[1] www.cbip.be
[2] The Lancet 1998 ; 351 : 643-4
[3] BOUNITON M. Prévenons les erreurs dans l’utilisation des médicaments, LLG 52 déc. 2006 ; 52 : 68-9.