« La pilule qui fait (presque) tout » : suite à l’enregistrement par l’EMEA (Agence Européenne du Médicament) dans l’indication « obésité », propos dithyrambiques parus dans un quotidien national : « un outil pour l’obésité (et bien plus…), limite les maladies cardiovasculaires ».
Rimonabant : où est le miracle qu’on attend ? (Par Jeannine Gailly, LLG n°49, mars 2006)
Voir aussi “Bon à savoir” sur le site du CBIP, juillet 2006
Voici une molécule capable d’agir à la fois dans le domaine du sevrage tabagique, dans celui de la perte de poids et dans celui de l’amélioration des facteurs de risque cardiovasculaires : des enjeux énormes ! La molécule bénéficie de rumeurs favorables (articles, congrès) depuis de nombreux mois. Cependant…,sous le titre « le rimonabant tient-il ses promesses ? », nos collègues du BIP (Bulletin d’Information Pharmacothérapeutique) attirent notre attention sur les insuffisances de l’étude RIO-Lipids et le manque d’études portant sur les critères de morbi-mortalité.
Que savons-nous actuellement du rimonabant ?
Deux études sont parues récemment : Rio-Lipids et RIO-Europe study. Elles portent sur la perte de poids et l’amélioration des facteurs de risque cardiovasculaires chez des adultes obèses.
Rimonabant et perte de poids dans RIO-Lipids et RIO-Europe study.
Les conclusions des études RIO-lipids et RIO-Europe study annoncent un bénéfice significatif en termes de perte de poids. Nous pourrions être tentés de prescrire cette molécule uniquement pour aider l’obèse à perdre du poids, à avoir une meilleure image de soi. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Dans l’étude RIO-Lipids, chez des obèses ayant en moyenne 93 à 95 kg et avec un régime hypocalorique (déficit de 600 calories par jour par rapport au nombre de calories journalières stabilisant le poids), le groupe placebo perd en moyenne en un an 1,5 kg tandis que le groupe traité par 5mg de rimonabant perd en moyenne 3,1 kg, soit une différence de 1,6 kg par rapport au placebo en une année de traitement, ce qui équivaut à une perte moyenne attribuée au rimonabant de 0,133 kg par mois de traitement.
Le groupe traité par 20 mg de rimonabant perd un peu plus : en moyenne 6,9 kgs soit une différence de 5,3 kg par rapport au placebo, ce qui équivaut à une perte moyenne de 0,441 kg/mois au prix d’effets indésirables plus importants : nausées, sécheresse de bouche, influenza, anxiété, diarrhée et insomnie.
Dans l’étude RIO-Europe study (patients obèses d’environ 100 kg et régime hypocalorique), les perte de poids sont comparables : pour la totalité des participants à l’étude (intention to treat) nous trouvons les chiffres de 1,8 kg pour le groupe placebo, 3,4 kg pour le groupe rimonabant 5 mg et 6,6 kg pour le groupe rimonabant 20 mg. Pour les participants (60%) ayant adhéré au traitement pendant les 12 mois, les valeurs sont de 3,6 kg pour le groupe placebo, 4,8 kg pour le groupe rimonabant 5 mg et 8,6 kg pour le groupe rimonabant 20 mg (càd 5 kg de différence avec le placebo en une année de traitement).
Le poids est-il stabilisé après l’arrêt du traitement ? Aucune indication dans ces études ne permet de l’affirmer.
Il est important de rappeler que perdre du poids grâce à un médicament ne signifie pas automatiquement réduire le risque lié au poids excessif : des études portant sur la morbi-mortalité sont nécessaires pour le déterminer. D’autres facteurs pourraient interférer.
Conclusion : une perte de poids (significative mais peu importante), à mettre en balance avec le manque de preuves de réduction de la morbi-mortalité, le coût du traitement et les effets indésirables.
Rimonabant et facteurs de risque cardiovasculaire.
Dans les 2 études, le rimonabant 5 mg ne modifie pas les facteurs de risque cardiovasculaires.
Le Rimonabant 20 a une influence modérée mais significative sur la circonférence abdominale, le HDL-cholestérol, les triglycérides, la résistance à l’insuline et la prévalence du syndrome métabolique.
Ici aussi, il est important de rappeler que ce n’est pas parce qu’on modifie un ou des facteurs de risque que la morbi-mortalité va être réduite. Il n’y a aucune preuve que la modification de ces facteurs de risque grâce au rimonabant va améliorer l‘espérance de vie et la morbidité des personnes traitées. Des études sont indispensables. D’autres facteurs pourraient interférer.
Conclusion : une modification biologique de facteurs de risque (pour la dose de 20 mg) à mettre en balance avec le manque de preuve de réduction du risque cardiovasculaire, le coût du traitement et les effets indésirables.
Rimonabant et effets indésirables inquiétants
Environ 40% des participants ont arrêté l’étude pour divers motifs avant la fin de l’année dans les 2 études. Ce taux d’abandon est fort important. Il est similaire dans tous les groupes des études.
16% des participants des groupes rimonabant 20 arrêtent pour effets indésirables dans les 2 études. Alors que 8 à 9% arrêtent pour ce motif dans les groupes placebo et dans les groupes rimonabant 5.
Ce qui nous préoccupe est le nombre de sortis des 2 études en raison de l’apparition d’une dépression. Le nombre d’arrêt pour dépression est plus important dans les groupes 20 mg (10/52 sortis de l’étude pour effets indésirables dans RIO-Lipids et 22/87 dans RIO-Europe study) que dans les groupes 5 mg et dans les groupes placebo. Il s’agit du motif d’arrêt le plus fréquent parmi les effets indésirables, alors que les antécédents de dépression importante sont un critère d’exclusion pour participer à l’étude. Le deuxième motif d’abandon est l’anxiété. Dans RIO-Europe study 42/87 sorties d’étude pour effets indésirables le sont pour des problèmes psychiatriques.
Conclusion : méfions-nous de l’induction de problèmes psychiatriques.
Rimonabant et sevrage tabagique
La molécule est également proposée dans le sevrage tabagique. Cet aspect n’est pas abordé dans ces études : les fumeurs enrôlés qui arrêtent de fumer durant l’étude sont exclus en raison du risque de prise de poids consécutif au sevrage tabagique. Aucun arrêt du tabac n’est mentionné dans les motifs d’arrêt de participation aux études.
Conflits d’intérêt
Les 2 études sont financées par la firme commercialisant la molécule et tous les auteurs mentionnent des conflits d’intérêt par rapport à cette firme.
Pour conclure : RIO-Lipids et RIO-Europe study
- Un effet significatif mais peu important sur la perte de poids.
- Un effet significatif mais peu important sur certains facteurs de risque cardiovasculaire.
- Pas d’effet démontré en termes de réduction de morbidité ou de mortalité.
- Des effets indésirables inquiétants : troubles psychiatriques, dépression et angoisse.
- Des conflits d’intérêts importants.
Rimonabant ? On attend !
Réf :
C. Moro, A Pathak. Le rimonabant tient-il ses promesses ? BIP 2005, 12(4), 18-22
Després JP, Golay A and Sjöström L for the Rimonabant in Obesity-Lipids Study Group. Effects of Rimonabant on Metabolic Risk Factors in overweight patients with dyslipidemia. N Engl J Med 2005 ;353:2121-34.
Van Gaal L, Rissanen A, Scheen A and al for the RIO-Europe study Group. Effects of the cannabinoid-1 receptor blocker rimonabant on weight reduction and cardiovascular risk factors in overweight patients : 1-year experience from the RIO-Europe study. The lancet 2005 ;365:1389-97.
SUITES : Retrait du marché du rimonabant (Acomplia®), LLG n°60, décembre 2008
Acomplia® (rimonabant) est autorisé en Europe depuis juin 2006 dans le cadre d’une procédure centralisée. Une analyse des données de pharmacovigilance avait conduit en juillet 2007 à de nouvelles contre-indications, puis en juillet 2008 à intégrer de nouvelles mises en garde et recommandations de surveillance au cours du traitement. L’ensemble des Etats européens avait alors engagé une réévaluation du bénéfice et du profil de risque qui conduit aujourd’hui l’Agence européenne d’évaluation des médicaments (EMEA) à recommander la suspension de l’autorisation de mise sur le marché de ce médicament. En effet, le rapport bénéfice / risque est désormais considéré comme défavorable dans le traitement des patients obèses ou en surpoids avec facteurs de risque. L’analyse des données disponibles à ce jour indique que l’efficacité en situation réelle de prescription est moindre que celle attendue sur la base des essais cliniques avec une durée de traitement d’environ 3 mois. De plus, des troubles dépressifs parfois sévères peuvent survenir, y compris chez des patients sans antécédents psychiatriques.