Action n° 67 : RUPTURES DE STOCKS (09.2002)

Politique délibérée de marketing contraire aux règles en usage.

Le GRAS a déjà réagi [1], [2] aux ruptures tendineuses sous fluoroquinolones, aux ruptures de prothèses de hanche, voilà maintenant la problématique des ruptures récurrentes de stocks de médicaments. Depuis quelques années, plusieurs médicaments très utiles et bon marché ont été retirés du marché belge sur base d’arguments spécieux (PENIORAL® : action N° 8 du GRAS [3] mais en fait pour des raisons commerciales. Cela complique la tâche du généraliste soucieux de fonder sa prescription sur des recommandations de bonne pratique recommandant ces produits : sirop de pénicilline dans le traitement de certaines angines, triméthoprim (Wellcoprim®) dans le traitement de la cystite banale de la femme jeune, vaccin monovalent contre la rubéole, hydrochlorothiazide dans le traitement de l’HTA,…Souvent la prescription doit se reporter sur des produits plus chers et moins bien adaptés !

Depuis deux ans, les témoignages de professionnels du médicament confrontés à ces ruptures de stocks augmentent dans plusieurs pays d’Europe [4], [5] : absence momentanée ou retrait définitif, la chose est rarement précisée par la firme responsable. Des produits très utiles sont concernés [6]. Les raisons invoquées ne sont guère admissibles au vu du préjudice occasionné aux malades et à la santé publique. Certaines firmes vont même jusqu’à en faire un outil promotionnel telle AstraZeneca qui annonce dans une lettre aux médecins belges que « suite à une forte augmentation de la demande en Selozok® liée aux résultats de l’étude MERIT-HF, il existe un risque de ne pas pouvoir honorer toutes les demandes pour cette spécialité dans les prochaines semaines. »

De qui se moque-t-on ? Le 15 octobre 2002, l’Association Nationale des Grossistes-Répartiteurs en Spécialités Pharmaceutiques ( ANGR) informe les pharmaciens belges que plusieurs fabricants tels GSK, Eli Lilly, Sanofi, Synthélabo et Servier imposaient des quotas maximums pour l’achat d’un certain nombre de médicaments ; l’ANGR craint des ruptures de stocks et dénonce cette mesure unilatérale et protectionniste. L’administration de la Santé Publique semble dépourvue devant cette situation ne disposant pas de possibilité de contrainte légale ou administrative. Le GRAS a interpellé les ministres Tavernier et Vandenbroucke pour leur demander de mettre en place une information systématique et précise des professionnels de santé dans ce domaine et pour prendre une initiative législative contraignante telle qu’une astreinte pour arrêt de commercialisation.

Le médicament n’est pas une savonnette et quand on voit l’énergie que gaspillent les firmes pharmaceutiques à promouvoir leurs pseudonouveautés, les malades et les professionnels de la santé sont en droit d’attendre plus de sérieux et de sens de leurs responsabilités à propos de leur gestion de stocks… à moins qu’elles ne soient sciemment provoquées pour développer la vente de médicaments plus onéreux !

Suites : LLG n°48, décembre 2005

Le GRAS avait déjà dénoncé ce phénomène ainsi que la politique des quotas maximums imposés par plusieurs fabricants pour l’achat d’un certain nombre de médicaments. Les lettres aux médecins s’accumulent annonçant une fois la rupture de stock d’un produit puis son retour sur le marché au point d’ériger cette pratique en système promotionnel. Cela fait penser à la politique promotionnelle de Sony relative à sa nouvelle console portable quand des ruptures de stocks sont provoquées pour exacerber la demande (production à flux tendu ou, plus wallon, ferrer le poisson !). Dans un article paru dans le numéro 3/2005 des Annales Pharmaceutiques Belges ( www.apb.be ) intitulé ” Ruptures de stock : pas d’éclaircie en vue ?”, François Bonheure explicite ce problème en ces termes : “Les différentes causes de ces problèmes sont plus ou moins bien connues. Les deux principales sont l’offre pléthorique en matière de médicaments génériques et les systèmes de contingentement instaurés depuis quelques années par les grandes entreprises pharmaceutiques pour protéger leurs produits phares. (…) Qui dit contingentement, dit inévitablement commerce parallèle de médicaments. Et là, les chosent se corsent car, dans notre pays, le sujet semble délicat. Il n’est pas tabou, non. Mais de là à en parler volontiers, il y a de la marge…En répondant à notre petit sondage, certains pharmaciens avaient eux aussi pointé un manque de communication, essentiellement de la part des firmes. Et ce peu d’informations sur le sujet génère des rumeurs, rumeurs de quotas délibérément sous-évalués, de marché parallèles florissants, tantôt au Nord, tantôt au Sud du pays, orchestrés ou non par des opérateurs étrangers, etc., etc.

Suites : LLG n°80, mars 2014

Les ruptures d’approvisionnement se multiplient sur le marché pharmaceutique belge depuis mars 2014 : Acifémine co.® puis ovules (réapparus en 7/2014), Glucophage® 850 et 500 mg, Inderal Retard® 160 et 80, Tetravac® (vaccin contre le tétanos + diphtérie + polio + coqueluche, pour l’enfant de 6 ans)… Pas toujours évident au départ de savoir s’il s’agit d’une disparition provisoire ou définitive. A chaque fois, le médecin et le pharmacien doivent substituer ou importer de l’étranger. Pour le Tetravac®, le Ministère Communautaire de la Santé conseille (et fournit) du Pentavac® en demandant de n’injecter qu’une des 2 ampoules.

Quel bricolage ! Une indisponibilité jugée inacceptable par beaucoup d’intervenants du secteur mais « institutionnalisée » via un site internet et même une application iPhone MediBase Pro qui dispose d’une fonction affichant le top 10 des médicaments indisponibles en pharmacie… Le site internet de l’afmps belge (Agence Fédérale des Médicaments et Produits de Santé) [7] signalant les produits manquants, de façon transitoire ou définitive, devrait être actualisé tous les jours, en théorie du moins [8].

Chaque année, des centaines de médicaments ne sont plus disponibles pour les patients belges en raison de problèmes de production ou d’approvisionnement. La santé publique a été mise en danger à 14 reprises l’année dernière à cause de ce phénomène, a indiqué ce 7 février 2014 l’afmps dans les journaux De Standaard et Het Nieuwsblad. L’année dernière, les entreprises pharmaceutiques ont signalé à 496 reprises qu’un de leurs médicaments n’était plus disponible ou était temporairement en rupture de stock. En 2012, la première année de mise en place de ce système d’alerte, l’AFMPS avait comptabilisé 533 notifications. L’approvisionnement de quelques 150 médicaments est d’ailleurs considéré comme problématique en ce moment [9]. “Généralement, il existe des solutions de rechange ou alors le stock est suffisant dans les pharmacies”, précise l’afmps. “Mais, environ quinze fois par an, nous faisons face à un important problème de santé publique car un médicament n’est plus disponible. Il s’agit en général de médicaments contre le cancer et les infections.”

Ce phénomène a diverses origines qui sont souvent de nature économique. Il peut s’agir d’effets péjoratifs d’une production à flux tendus, de l’abandon de la production de certaines matières actives encore utiles à la santé publique, de ruptures par défaut de qualité des matières premières importées ou de pénuries du fait de l’abandon des productions de certaines formes pharmaceutiques de faible rentabilité. Entre 60% et 80% des matières actives à usage pharmaceutique sont désormais fabriquées hors Union européenne, principalement en Inde et en Asie. Cette proportion était de 20% il y a trente ans.

« Le jeu combiné de la mondialisation, de la crise économique, de l’augmentation des exigences réglementaires, pharmaceutiques et environnementales fait que l’on assiste en Europe à l’abandon de fabrication de matières actives à usage pharmaceutique », soulignait ainsi l’Académie française de pharmacie en 2013 [10].

Mais le problème est aussi européen : En Belgique, la vente de médicaments rapporte moins que dans d’autres pays et ils sont donc parfois réexportés là où on les vend plus cher. D’où la mise en place de quotas de fourniture de médicaments pour chaque pays par les firmes pharmaceutiques afin d’éviter ces exportations, avec le risque de pénurie quand ces quotas sont épuisés. Comment empêcher des réexportations basées uniquement sur une recherche de profit tout en respectant les règles de libre circulation des biens en Europe ? On aimerait voir plus d’initiatives de la part de la Commission Européenne sur ce dossier !

NB : La disparition de l’Inderal® 80 apparaît comme définitive [11].

AUTRES ACTIONS DU GRAS SUR CE THEME :

Partager

 {#TITRE,#URL_ARTICLE,#INTRODUCTION}

Notes

[1] La Lettre du GRAS 2002 ; 35:39-40

[2] PRESCRIRE REDACTION – Opacification d’implants oculaires Prescrire 2002 ;22(226) : 199.

[3] Rédaction GRAS – PENIORAL® : triste fin pour un sirop…pas assez juteux La Lettre du GRAS 1993 ; 4 : 10.

[4] Prescrire Rédaction – Ruptures de stocks : trop, c’est trop ! Prescrire 2002 ;22(230) :507.

[5] Certaines spécialités qui ne sont brusquement plus disponibles – Folia Pharmacothérapeutica 2002 ; 29 : 32.

[6] Du Norlevo° (contraceptif post-coïtal) à la Furadantine° (traitement de choix dans la cystite banale) en passant par le seul sérum anti-tétanique encore disponible qui, depuis mi-août 2002, ne l’est plus que de façon intermittente ce qui est inadmissible (… criminel ?) pour un tel médicament.

[7www.fagg-afmps.be/fr/items-HOME/indisponibilites_de_medicaments

[8www.fagg-afmps.be/fr/humain/medicaments/medicaments/distribution/indisponibilite

[9www.fagg-afmps.be/fr/items-HOME/indisponibilites_de_medicaments

[10www.acadpharm.org/dos_public/ANP_ruptures_mEdicaments_reco_presse.pdf

[11www.fagg-afmps.be/fr/items-HOME/indisponibilites_de_medicaments